Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/178

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n’a rien de téméraire[1]. Nous n’irons pas jusqu’à dire que le mariage ou la conversion de Clovis aient été le sujet « de la plus ancienne chanson de geste », et il y a là un système excessif que nous serons amené à combattre tout à l’heure ; mais il est certain que le baptême du roi frank a dû provoquer un dégagement de poésie auquel on ne saurait guère comparer que la popularité plus vive et plus auguste encore de Charlemagne. La France est assurément sortie du baptistère de Reims, mais notre poésie nationale en est sortie aussi, toute radieuse déjà et avec l’espérance légitime d’un long et merveilleux avenir. Il faut se représenter ce qu’était la Gaule en 496. Émiettée entre les Romains dégénérés, les Burgondes et les Wisigoths à moitié civilisés mais ariens, et les Franks encore païens et tout barbares, la pauvre Gaule ne pouvait aspirer à une désirable et nécessaire unité. Les catholiques surtout vivaient sous le coup d’une menace incessante et qui n’était pas loin de ressembler à une persécution. Ils ne savaient ce qu’ils devaient redouter le plus, les Ariens ou les Barbares. Séparés de cette Rome qui était le centre de leur foi, isolés au milieu d’ennemis qu’ils pouvaient croire implacables, ils avaient des heures de désespérance où ils se croyaient abandonnés de Dieu même. Tout à coup une nouvelle leur arrive, quelques jours après Noël, quelques jours avant les calendes de janvier. Elle vient de Reims et circule rapidement autour des basiliques joyeuses. Ce Chlodoweg, cette terreur des catholiques et des Romains, ce sauvage, ce païen, il vient de courber le front sous le Baptizo te qu’a prononcé solennellement le saint évêque Remy ; il est catholique enfin, il est des leurs, il est leur frère, et le chemin de Rome n’est plus fermé. Quant aux Ariens, ils peuvent trembler : car le jour de Dieu est à la fin venu et le châtiment est sur leurs têtes.

Que de tels événements n’aient pas transporté de joie les catholiques de la Gaule ; qu’ils n’en aient pas fait soudain l’objet de leurs chants populaires, que Clovis enfin, qui leur apparaissait dans la lumière, ne soit pas sur-le-champ devenu le héros et le centre d’un cycle poétique, c’est ce qui nous semble rigoureusement impossible. « De là, dit Gaston Paris, ces chants qui

  1. Cf. G. Paris, la Littérature française au moyen âge, p. 25.