Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/179

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furent le germe de cette branche importante de notre épopée où la nation française, groupée autour de son chef, est considérée comme particulièrement aimée de Dieu et consacrée à défendre la chrétienté contre les Infidèles. » Et le même érudit ajoute avec son habituelle sagacité : « Grâce à l’adoption du catholicisme par les Franks, une conscience nationale s’éveilla dans notre pays. La langue et le rythme populaire des Romains de la Gaule servirent pour la première fois à exprimer un idéal national et religieux à la fois. Cet idéal, une fois créé, ne pouvait plus périr. »

Nous n’allons pas, quant à nous, jusqu’à nous écrier ici : « L’épopée française est née. » Mais nous sommes contraint d’avouer qu’elle est désormais possible et, pour ainsi parler, inévitable.

Clovis n’est pas le seul personnage qui, durant l’époque mérovingienne, soit ainsi devenu le centre d’un cycle poétique. Les épisodes romanesques qui ont précédé son mariage et les meurtres épouvantables dont il est accusé par l’histoire, ne sont pas, avec son baptême, les seuls faits qui aient été l’objet de chants populaires et aient fourni la matière d’une épopée plus ou moins lointaine. Son père, Childéric, était légendaire comme lui, et rien ne ressemble plus à certaines de nos chansons futures que l’histoire étrange de ses amours avec Basine. Aux yeux des romanistes les plus autorisés, ces événements sont fondés sur de vieux poèmes franks qui ne sont pas parvenus jusqu’à nous. Il y a plus. Selon Rajna et Kurth, l’histoire de la première race ne serait, en grande partie, que le décalque d’une épopée franke. Après les cycles épiques de Childéric et de Clovis, il y aurait, suivant eux, à signaler encore ceux de Clotaire, de Dagobert, de Charles Martel, et l’étude de cette dernière geste nous conduirait, comme on le devine, jusqu’au règne lumineusement épique de Charlemagne. Nos érudits vont jusqu’à donner des titres à ces poèmes barbares, dont ils affirment que l’existence est au-dessus de toute contestation, et l’on parle couramment de la Chanson de Chilperik, de la Chanson de Chlodoweg, de celle de Theodorik, etc. C’est le triomphe de l’hypothèse scientifique, et n’était le mot « épopée » que nous n’admettons pas et sur lequel nous reviendrons tout à l’heure, nous serions fort disposé nous-