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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/180

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même à applaudir aux résultats acquis et à les enregistrer comme des vérités démontrées.

On ne s’étonnera pas de la popularité qu’ont pu conquérir des princes tels que Clotaire, Dagobert et Charles Martel. Dagobert est un second Clovis qui fut certes moins grand, mais presque aussi épique que le premier. Il étendit son sceptre sur une aussi vaste région que l’illustre converti de saint Remy. Il délivra ses peuples, comme Clovis l’avait fait, de l’incessante menace des barbares, et sa libéralité fut sans doute aussi populaire que ses vices auraient dû l’être. Quant à Charles Martel, il aurait joué sans doute dans la formation de notre épopée le même rôle que Charlemagne, si Charlemagne n’avait point paru. Poitiers est aussi épique que Roncevaux, bien que ce soit une victoire et que la poésie aime souvent à se passionner pour les vaincus. « C’est grâce à ce terrible marteau qui écrasa les plus dangereux ennemis de la civilisation et de la religion occidentales[1] », c’est grâce à ce grand-père de Charlemagne que nous devons peut-être d’être chrétiens ; c’est lui qui a dit à l’Islam : « Tu n’iras pas plus loin. » Si l’on pouvait comparer ce grand homme à quelque autre héros, ce serait à ce fameux comte Guillaume qui, en 793, fut vaincu par les Sarrasins à la bataille de Villedaigne, mais dont l’incomparable vaillance épouvanta les vainqueurs qui n’osèrent pas rester sur le champ de bataille. La défaite de Villedaigne a eu d’ailleurs une meilleure fortune que la victoire de Poitiers : il en est sorti cette Chanson d’Aliscans qui est peut-être la plus belle de nos chansons après le Roland, tandis que Charles Martel ne nous a guère laissé que des souvenirs un peu brouillés et quelques débris d’une poésie disparue. La gloire de Charlemagne a absorbé celle de son aïeul, et les deux Charles ont fini par n’en faire qu’un. Ce phénomène n’est pas rare.

Bien que ces cycles mérovingiens aient eu une vie et un éclat dont on ne saurait douter, nous ne retrouvons guère que leur sillage plus ou moins visible dans les pages des historiens, chez un Grégoire de Tours et chez un Frédégaire. Il ne nous reste de la geste de Dagobert qu’une aventure grotesque qu’on retrouve dans une chanson du XIIe siècle, dans ce singulier Floovant dont

  1. G. Paris l. c., p. 28.