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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/195

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Ce IXe siècle est d’une importance capitale dans les annales de notre épopée. C’est alors, suivant nous, que la poésie tudesque s’est séparée pour toujours de la poésie romane. Dans le travail créateur de l’épopée française, les Franks restés purement Germains, les Franks Ripuaires n’ont pas eu de part[1]. À l’époque mérovingienne, on pourrait déjà marquer sur une carte, par deux couleurs différentes, les pays où les cantilènes se chantaient en tudesque et ceux où elles se chantaient en roman : mais la séparation devient encore plus nette après Charlemagne, et chacun des deux grands peuples va décidément à ses destinées poétiques : l’un d’eux par le chemin qui le conduira à la Chanson de Roland et l’autre par la route qui le mènera aux Nibelungen.

Le Ludwigslied, ce chant si profondément populaire qui a pour objet la belle victoire que le roi Louis III remporta en 881 sur les Normands envahisseurs, le Ludwigslied n’est pas, comme on l’a cru, « un des germes de l’épopée française » : c’est un des plus anciens monuments de la poésie tudesque[2]. Il en est de même de ce Waltharius qui appartient à la fin du Xe siècle et n’est assimilable au fragment de La Haye que pour le latin seulement, mais qui est visiblement composé avec des matériaux empruntés au cycle des Nibelungen et dont les principaux personnages, Hagen, Walther d’Aquitaine, Hildegonde et le roi Gunther sont des Thiois ou des Allemands. L’allure, les mœurs, les passions, les caractères, tout est germain et ultra-germain. Rien, rien de français[3].

Si donc nous avons dit plus haut que l’épopée française est d’origine germaine ; si nous sommes intimement convaincu que, sans les invasions barbares, cette noble épopée ne serait pas née au soleil de l’histoire ; si nous sommes autorisé à déclarer une fois de plus que cette épopée d’origine germaine a été alimentée par des chants lyrico-épiques qui avaient pour héros des Tudesques, comme Clovis, Dagobert et Charles Martel ; si nous trouvons dans le Roland et dans vingt autres poèmes des traces irrécusables de la législation tudesque ; si nous maintenons éner-

  1. Godefroid Kurth, l. c., p. 487.
  2. Cf. Nyrop, l. c., p. 199. Voir la traduction du Ludwigslied dans nos Épopées françaises, I, 40, etc.
  3. Nyrop, l. c., p. 23.