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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/197

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Fondement historique de l’épopée française. — Ce qui caractérise la véritable Épopée, c’est qu’elle a un fondement historique. Il y a eu chez nous (depuis Clovis à tout le moins) une série de faits précurseurs de l’Épopée, et ces faits sont d’une incontestable et lumineuse réalité. On les a embellis, exagérés, délayés, déformés, transformés ; mais ils restent malgré tout le fond auguste de nos plus anciennes Chansons de geste.

Rien n’est plus réel que l’existence d’un comte Roland qui fut certainement Britannici limitis præfectus, et il n’est encore venu à l’idée de personne de suspecter le texte de la Vita Caroli[1] où Eginhard raconte en termes si nets cette défaite de Roncevaux qui fut une manière de Waterloo dont Charles fut longtemps à se consoler. In quo prælio Hruodlandus interficitur : ces cinq mots ont donné lieu à quelques centaines de poèmes écrits en tous pays et en toutes langues, et nous leur devons à coup sûr une partie notable de ce qu’on a appelé le cycle de Charlemagne ou la « Geste du Roi ». Rien n’égale leur profonde historicité. Un Allemand a naguère découvert l’épitaphe d’un des guerriers morts à Roncevaux, et nous savons aujourd’hui que cette sinistre bataille a eu lieu le 15 août 778. On ne saurait désirer plus de précision.

Une autre geste (nous expliquerons bientôt le sens exact de ce mot) est sortie d’un fait qui n’est pas moins historique. En 793, quinze ans seulement après Roncevaux, les Sarrasins envahirent notre sol national et s’avancèrent jusqu’à Narbonne dont ils brûlèrent les faubourgs. Chargés de butin, ils se mettaient en route vers Carcassonne, lorsque tout à coup ils rencontrèrent le comte Guillaume qui leur barra le chemin et leur livra bataille près de la petite rivière de l’Orbieu, en un lieu appelé Villedaigne. Guillaume fut vaincu après des prodiges de valeur, mais les Sarrasins, effrayés sans doute par une résistance aussi héroïque, levèrent leur camp et retournèrent aussitôt en Espagne : Obviam Sarracenis exiit Willelmus quondam comes aliique comites Francorum cum eo, commiseruntque prælium super fluvium Oliveio. Willelmus autem pugnavit fortiter in illa die.. Cette phrase des Annales de Moissac, confirmée par dix autres

  1. Cap. IX.