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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/198

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témoignages[1], a donné lieu, non seulement à cet admirable poème d’Aliscans que nous raconterons plus loin, mais à tout ce cycle de Guillaume qui n’est certes ni moins beau ni moins historique que celui de Charlemagne.

Ainsi, voilà deux grands cycles qui sont sortis de deux ou trois faits profondément historiques, et nous ne sommes encore qu’au début d’une énumération dont nous essaierons d’abréger la longueur.

Cet Ogier qui a rempli la France et l’Occident du bruit de sa gloire brutale, cet Ogier que l’Italie a chanté plus longtemps que la France elle-même et dont elle n’a pas encore aujourd’hui perdu tout le souvenir, ce n’est pas un être fictif et qui soit sorti un beau jour des vapeurs de l’imagination française. Il a existé ; il a joué un rôle considérable à la cour du roi Charles. En 760, le pape saint Paul lui donne le titre de gloriosissimus dux ; quatre ans plus tard, nous le voyons s’attacher à la fortune de Carloman ; la chronique de Moissac nous fait assister à sa disgrâce auprès de Charlemagne : Truso in exsilium Desiderio rege et Oggerio, et, enfin, le moine de Saint-Gall ajoute un dernier trait, qui est des plus précieux, à des données aussi authentiques : Contigit quemdam de primis principibus offensam terribilissimi imperatoris incurrere et, ob id, ad eumdem Desiderium confugium facere. Bref la légende d’Ogier repose sur des fondements historiques non moins solides que celles de Guillaume et de Roland[2].

La pensée d’Ogier éveille fatalement celle de ce Renaud de Montauban qui a été un rebelle comme lui et qu’on a, depuis longtemps, admis dans le même cycle ; mais il s’en faut que nous ayons sur l’aîné des fils d’Aimon les mêmes lumières que sur le Danois. C’est grâce à des recherches toutes nouvelles et fort subtilement dirigées que nous commençons à entrevoir l’historicité de ce héros. Il est démontré que le Renaud de l’histoire est mort vers le milieu du VIIIe siècle, et que par conséquent c’est contre Charles Martel et non contre Charlemagne qu’il a eu à lutter ; il est prouvé, plus clairement encore, que le roi Yon de notre vieux poème doit être identifié avec un Eudon, duc ou roi de

  1. Épopées françaises, 2e éd., IV, p. 79.
  2. Voir tous ces textes dans Épopées françaises, 2e éd., III. p. 52-54.