Aller au contenu

Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/202

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

il n’est pas moins certain qu’il y a là le souvenir fidèle de deux grands faits d’ordre général, de ces invasions très historiques que les Infidèles ont poussées plus d’une fois jusqu’aux portes de Rome, notamment en 846 et en 878, et des brutalités non moins réelles dont les empereurs allemands se sont tant de fois rendus coupables envers le souverain pontificat. J’avoue que cette influence des faits d’ordre général n’est pas pour me déplaire. La dose d’histoire y est souvent plus notable que le récit plus ou moins exact de tel ou tel fait spécial, et l’on a peut-être eu raison de formuler naguère cette théorie dont il ne faudrait pas abuser : « Les péripéties les plus constantes de nos chansons correspondent aux péripéties les plus constantes de l’histoire. » En voici un exemple, que nous emprunterons à ce Girars de Viane, où il serait malaisé de signaler un seul événement qui fût vraiment historique. Mais dans ce poème (qui n’a pas certes le même parfum d’antiquité que le Couronnement), je sens le souvenir encore vivant des invasions musulmanes au sud de la France, de la lutte de nos rois contre leurs trop puissants barons et, enfin, de ce long et profond antagonisme entre le midi et le nord de notre pays. Si ce n’est point là de l’histoire, quel nom donner à une aussi puissante synthèse, à d’aussi fidèles souvenirs ?

Il y a, en revanche, un certain nombre de nos chansons où l’on ne trouve la trace que d’un seul fait historique. Ce fait primitif est indiscutable, et personne ne songe à le contester ; mais, tout bien examiné, de telles chansons me paraissent fort inférieures à celles où est condensé l’esprit même de l’histoire et qui, comme le Couronnement et le Girars de Viane, nous offrent en réalité la dominante de toute une époque. Il n’y a rien de plus fondé en histoire que l’entrée du comte Guillaume, de cet illustre vaincu de Villedaigne, au monastère de Gellone. L’événement est de 806 : nous le savons pertinemment, et nous n’ignorons pas qu’il a servi de base ou plutôt de prétexte au poème singulier qui a pour titre le Moniage Guillaume. Mais, dans cette chanson grossière, il n’y a de réel que ce seul fait. Tout le reste sonne faux, et l’Épopée est sur le point de sombrer dans la caricature. Est-ce là, est-ce bien là cet incomparable Guillaume qui, chargé de gloire et au sommet de la fortune humaine, se