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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/239

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Et nous allons jusqu’à adopter pour l’alexandrin français la thèse de Rajna qui le regarde comme une transformation du décasyllabe français : « On s’est contenté, dit-il, de faire égaux les deux membres de ce décasyllabe qui étaient inégaux. » Rien n’est plus vraisemblable.

Quoi qu’il en soit, le décasyllabe qui fut sans doute le vers de ces épopées du Xe siècle dont le texte n’est pas parvenu jusqu’à nous, le décasyllabe règne sans conteste dans le Roland, qui est notre plus ancienne chanson connue. C’est, à peu d’exceptions près, le vers de nos plus vieux poèmes, et il est facile de constater qu’il règne dans cinquante de nos romans. Plus de la moitié.

L’alexandrin nous apparaît pour la première fois dans ce Pelerinage de Jérusalem dont la date a été vivement contestée, que certains romanistes jugent antérieur au Roland et que d’autres, plus modestes, attribuent seulement aux premières années du XIIe siècle. On sait que l’alexandrin doit son nom à l’Alexandre de Lambert le Tort et d’Alexandre de Bernay qui est une œuvre du XIIe siècle. Une quarantaine de nos chansons en ont accepté la facture ; mais ce ne sont, en général, ni les plus anciennes ni les meilleures.

L’octosyllabe a bien essayé de se glisser dans notre épopée, témoin l’Alexandre d’Alberic de Besançon ; mais l’essai n’a pas semblé concluant. Ce vers était évidemment trop maigre et trop sautillant pour l’épopée. On l’abandonna rapidement, et l’on fit bien.

Il ne reste donc en présence que le décasyllabe et l’alexandrin. Le premier a reçu dès sa première origine une forme définitive et parfaite : Pur Karlemaigne fist Deus vertuz mult granz, Kar li soleilz est remés en estant. Il en a été de même pour l’alexandrin qui, dès le Pelerinage et sans doute auparavant, peut passer pour une création vraiment achevée : Là ens ad un alter de sainte paternostre ; — Deus i cantat la messe ; si firent li Apostle.

    dence) que la versification latine rythmique dérive de la versification latine métrique et, pour prendre un exemple décisif, que le septenarius trochaïque de Senèque : Comprecor vulgus silentum vosque ferales deos, — Tartari ripis ligatos, squalidæ mortis pecus, est, petit à petit, devenu le septenarius trochaïque rythmique, accentué, assonancé, tel que nous le trouvons en ces deux vers attribués à saint Pierre Damien : Solis gemmis pretiosis hæc structura nititur ; — Auro mundo, tanquam vitro, urbis via sternitur, etc., etc. (Voir Épopées françaises, 2e édit., II, p. 284 et suiv.)