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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/26

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PRÉFACE

vains modernes, prétention et action encore peu apparentes au xvie siècle, plus marquées au xviie, éclatantes au xviiie et au xixe. Le principal objet d’une littérature sociale, c’est d’agir sur la société dans laquelle elle se produit.

Son autre objet est la peinture de cette société à laquelle elle est destinée, et c’est en effet cette peinture qui remplit la plus grande partie de notre vieille littérature, comme de notre littérature moderne. Aussi est-elle une mine inépuisable de renseignements sur les mœurs, les usages, les costumes, toute la vie privée de l’ancienne France. Les plus descriptifs de nos romans mondains ne donnent pas plus de détails sur les toilettes ou l’ameublement de leurs héroïnes que n’en fournissent les romans des xiie et xiiie siècles. Les écrits moraux ou facétieux en prose ou en vers, les contes, le théâtre, n’abondent pas moins en descriptions de ce genre : le public les accueillait toujours avec complaisance, amusé de retrouver le cadre de sa vie habituelle, ou charmé de se figurer les splendeurs d’un monde qui lui était fermé ; l’archéologie les recueille actuellement avec curiosité et avec reconnaissance.

Un autre trait distinctif de la littérature sociale, c’est de créer des types généraux plutôt que des caractères individuels. On a déjà vu que la peinture des caractères était faible dans l’épopée et pourquoi elle devait l’être, subordonnée comme elle l’était à une tendance générale. Elle n’est pas plus forte dans les romans d’aventure ou les contes. Les personnages s’y ressemblent presque tous : hommes et femmes, vieux et jeunes, sont taillés sur quelques patrons qui ne varient guère, parce qu’ils sont déterminés par des idées préconçues. En revanche Roland, Huon de Bordeaux, Arthur, Lancelot, Renard, Guenièvre, Nicolette, Richeut sont des types accomplis de l’héroïsme, de la jeunesse aventureuse, de la dignité royale, de la cour-