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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/252

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et vénérable antiquité, on constate aisément un certain nombre de lieux communs épiques, de formules, nous allions dire de « clichés » que l’on retrouve, hélas ! en dix, en vingt autres chansons. Le jour devait venir et est en effet venu où des poètes sans inspiration et sans idées se sont bornés à mettre en œuvre, tellement quellement, un lot de ces lieux communs qu’ils ont cousus, tant bien que mal, les uns à la suite des autres. Bref, et pour prendre ici une autre image, il y a eu, dès le XIIIe siècle à tout le moins, et même auparavant, ce que nous avons naguères appelé le « moule épique ». Une fois ce moule trouvé, il ne s’agissait plus, pour en faire sortir une œuvre plus ou moins attrayante, que d’y jeter un métal plus ou moins précieux. La vérité me force à dire qu’en fait de métal, le cuivre semble avoir été moins rare que l’or.

Quoi qu’il en soit, c’est ce moule épique, ce sont ces lieux communs que nous voudrions faire connaître. Ils occupent, dans notre épopée, quelques cents milliers de vers.

Les plus importants de ces lieux communs, ce sont ceux qui atteignent non pas la forme, mais le fond même du récit ; ce sont ces épisodes que vingt de nos trouvères ont audacieusement empruntés à leurs devanciers et qu’ils ont ensuite reproduits avec une imperturbable servilité. Le Roland débute, comme chacun sait, par le tableau animé de deux cours plénières dont l’une se tient chez le roi sarrasin Marsile et la seconde chez l’empereur Charles. Eh bien ! la cour plénière sera désormais l’élément obligé d’un certain nombre de nos chansons[1]. Devant cette assemblée solennelle un ambassadeur est souvent introduit[2], qui parle tantôt au nom d’un vassal révolté, tantôt au nom d’un prince mécréant. Ce messager, qui ne ressemble en rien au diplomate de nos jours, tient un langage qui est le plus souvent d’une violence et d’une hardiesse au delà de toute mesure. On le retrouve en plusieurs de nos poèmes, et il y a là ce qu’on pourrait en style trop vulgaire appeler « le cliché de l’ambassadeur ». Mais ce qui est le plus communément répandu, ce qu’on peut lire (il y faut quelque courage) dans une quaran-

  1. Renaus de Montauban, la Chevalerie Ogier, Aspremont, l’Entrée de Spagne, etc.
  2. Roland, Aspremont, etc.