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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/277

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que le premier roi de France fut couronné par les Anges chantants ; dans ce passage si connu du Charroi de Nimes où l’on voit Guillaume Fierebrace (ce héros que le midi a vainement revendiqué) ouvrir un jour son armure de mailles pour laisser entrer dans sa poitrine « le doux souffle qui vient de France » ? Au reste il faut avoir ici la vraie intelligence de nos anciens textes et ne pas s’obstiner à y chercher le mot patrie, quand la chose y est. Nos vieux poètes avaient en réalité personnifié la France en ce Charlemagne qu’ils peignent sous de si nobles couleurs. Tout ce qu’ils lui attribuent de grandeur, de majesté, d’héroïsme, il faut en faire honneur à la France dont il est la véritable incarnation. C’est ainsi que nos pères des deux derniers siècles, quand ils jetaient le cri de « Vive le Roi » criaient en réalité : « Vive la France ! »

La Royauté tient une large place dans notre épopée, comme dans toutes les épopées sincèrement primitives. Elle nous y apparaît sous un aspect qui rappelle moins l’empereur romain que le kœnig germanique. Elle est héréditaire, non sans quelques hésitations et tempéraments ; mais c’est seulement dans une de nos dernières chansons et en pleine décadence épique que l’auteur de Hue Capet, sous l’empire de souvenirs historiques qui se sont un peu brouillés dans sa tête, aura l’audace de faire monter sur le trône de France un homme de peu qui fonde soudain une dynastie et ne craint pas de dire très haut : « Je suy rois couronnez de France le royon, — Non mie par oirrie ne par estrasion, — Mais par le vostre gré et vostre elexion. » Nous voilà loin du Charlemagne de nos plus anciennes chansons.

Pour peindre le grand empereur, nos premiers trouvères n’ont guère emprunté aux souvenirs de l’antique empire romain qu’une notion générale de majesté et de grandeur, en y joignant toutefois la mission de protéger efficacement la faiblesse auguste de l’Église ; mais il faut bien avouer que pour tout le reste, les rois et les empereurs de nos chansons ont surtout une physionomie germanique. Ce redoutable Charles, que l’on considère comme le maître du monde, il ne fait rien sans consulter les représentants de son peuple : Par cels de France voelt il de l’ tut errer. Il réunit à tout instant cette Cour plénière qui rappelle les Assemblées nationales des deux premières races, les Champs