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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/293

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ces remaniements et d’avoir composé sur ce type cinquante poèmes qui étaient ou paraissaient nouveaux. Encore un coup, la décadence vient de là.

Autre cause encore, dont il ne faudrait point exagérer l’importance, mais qui est réelle. Le décasyllabe est presque partout remplacé par l’alexandrin qui est plus lourd et plus aisément chevillard. De là — après quelques œuvres qui sont encore primitives et belles, — de là nos derniers romans en vers ; de là ces interminables rapsodies du XIVe siècle qui sont principalement wallonnes ; de là les Baudouin de Sebourc et les Bastart de Bouillon.

Longues et filandreuses, ces pauvres compilations le sont certainement ; mais leur esprit est encore plus haïssable que leur « lettre ». Il y a longtemps, hélas ! que la formule a envahi notre épopée, qui s’est mal défendue. Dès le XIIIe siècle et plus tôt encore, on en est venu à pratiquer cette théorie du moule épique, avec laquelle il n’y a pas de poésie possible. La chanson de geste, au lieu d’être une inspiration généreuse et primesautière, est devenue un genre littéraire, conventionnel et « classé ». Elle a été réduite, comme nous l’avons vu, à un certain nombre d’épisodes, ou, pour mieux dire, de pièces étiquetées : une cour plénière, un siège, une princesse amoureuse, etc., etc., et l’on a joué avec ces morceaux comme avec les pierres d’une mosaïque. Ce n’est plus un poème : c’est une série de combinaisons plus ou moins ingénieuses, mais toujours factices et nécessairement monotones. La formule va plus loin, et envahit chaque vers en particulier. Plus d’originalité, même dans la phrase. Puis, il y a cette détestable influence des romans bretons, et l’on ne saura jamais le mal que nous a fait la Table Ronde. Nos vieilles chansons ne sont plus que des romans d’aventures, moins la grâce aimable et l’excellente langue d’un Chrétien de Troyes, moins la vivacité de cet octosyllabe si jeune et si alerte. C’est aussi loin du Parceval que du Roland. Ni l’élégance de l’un, ni la vigueur de l’autre. Avec cela, satiriques contre toute justice, sensuels au delà du grivois, superstitieux jusqu’à la sottise. On y hait volontiers le prêtre, on y bafoue le moine, et c’est trop souvent le méchant esprit des fabliaux sans leur verve. Décadence.