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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/295

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petites gravures qui le rendent encore plus populaires. Elles vont partout, elles sont partout. Et pourtant, quelle médiocrité ! Un certain nombre de ces incunables ne sont que la reproduction niaise de nos romans manuscrits en prose. D’autres, plus mauvais encore, en sont l’imitation inintelligente et servile. Ce ne sont même pas les plus grands, les plus illustres de nos anciens héros qui tiennent ici la première place : Roland est éclipsé par Galien Rhétoré ; Guillaume au fier bras est délaissé pour Hernaut De Beaulande ; Huon de Bordeaux fait oublier les vieux Lorrains. Une goutte de notre vieille poésie diluée en des tonnes d’eau.

On descendra plus bas encore.

Ces incunables si étranges, avec leur typographie gothique serrée et lourde, avec leur illustration rudimentaire, ils étaient, si je ne me trompe, feuilletés par des mains bourgeoises plutôt que par des doigts plébéiens ou paysans. Il en fut probablement de même durant tout le XVIe siècle : mais il ne faudrait tomber ici dans aucun excès, et il est certain que les petites gens gardaient encore, très vivant, le souvenir de nos vieilles légendes épiques. Ce qu’il y a d’assuré, c’est qu’au XVIIe siècle, des libraires bien avisés comprirent qu’il y avait à réaliser une bonne affaire, en répandant parmi le petit peuple les romans en prose des anciens imprimeurs, sous une forme qui fût vraiment populaire et à bon marché. Ces hommes d’esprit, ces habiles industriels ne durent pas payer fort cher leurs auteurs anonymes, puisque ceux-ci se contentaient le plus souvent de reproduire les œuvres imprimées avant eux, en les adaptant seulement à la langue et au goût de leurs contemporains. Ils étaient bien forcés de changer çà et là quelque mot vieilli ou démodé, quelque phrase même qu’on ne comprenait plus. Ils allaient jusqu’à donner parfois à leur récit une couleur moderne qui n’était certes pas de la couleur locale. Mais enfin, vous le voyez, à chaque nouvelle évolution de nos pauvres vieilles légendes, elles perdent de plus en plus les traits augustes de leur physionomie originelle. Comparez plutôt, si vous en avez le courage, comparez le Roland du XIe siècle avec le Galien Rhétoré de la « Bibliothèque bleue » au XVIIIe siècle. Bibliothèque bleue ! c’est le nom que portent en effet ces petits volumes niais