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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/310

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L’ÉPOPÉE ANTIQUE

Le duc fait ensevelir honorablement les morts, en particulier Étéocle et Polynice ; mais les corps des deux frères sont rejetés par la terre et les flammes dont on veut les brûler se divisent et se combattent. Les cendres même tentent de sortir des urnes dans lesquelles on les a enfermées et scellées. Le duc les fait alors réunir et retourne à Athènes avec ses prisonniers, pendant qu’Adraste ramène à Argos les dames, qui y vécurent désormais dans l’affliction. Ainsi s’accomplit la malédiction lancée par Œdipe contre ses fils, ce qui doit nous engager à ne rien faire « contre nature ».

Deux manuscrits nous fournissent une rédaction particulière, BC, dont le fond reste fidèle à l’original, mais qui s’en distingue, non seulement par de notables suppressions destinées à abréger sans nuire à la clarté du récit, et par un assez grand nombre de leçons particulières, qui ne sont souvent que des rajeunissements, mais encore par des additions et des transformations importantes. Deux autres manuscrits, AP, d’ailleurs indépendants l’un de l’autre dans certaines parties, dérivent d’une rédaction postérieure en dialecte picard, dont le caractère général est le délayage. Ajoutons que le ms. S, quoique très voisin de l’original, n’est pas non plus exempt d’interpolations.

2. Langue, date et sources du poème. — Le Roman de Thèbes comprend, dans le texte critique, 10 230 vers octosyllabiques à rimes plates, où les rimes masculines dominent de beaucoup (62,90 %). L’auteur rimait fort bien pour l’époque : en effet, presque toutes les rimes inexactes qu’on rencontre dans son œuvre se justifient par des licences généralement admises de son temps, et il n’y a guère que 8 % de rimes qui seraient aujourd’hui considérées comme insuffisantes. La langue est, dans son ensemble, le français du Centre, mais avec des traits dialectaux qui assignent le poème au sud-ouest du domaine. L’éloge donné à Poitiers[1], peut-être aussi la mention de Usarche (= Uzerche, Corrèze ?), où, il est vrai, un manuscrit donne Lusarche[2] et un autre

  1. Mieuz vaut lor ris et lor baisiers (des filles d’Adraste) Que ne fait Londres ne Peitiers. Il faut peut-être attribuer Londres au scribe et corriger : Que Limoges ne que Peitiers.
  2. Si l’on considérait cette leçon comme la vraie, le choix de ce mot ne saurait avoir été amené que par la difficulté de la rime avec marche, la langue de l’auteur s’opposant à ce qu’on cherche sa patrie au nord de Paris, dans le département de Seine-et-Oise.