Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/311

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
181
ROMANS ÉPIQUES

Lusarce, confirme l’hypothèse que l’auteur était originaire du Pays au sud de la Loire, sans qu’on puisse cependant affirmer de façon certaine que sa patrie fût entre Poitiers et Limoges.

La ressemblance des procédés employés dans le Roman de Troie et l’Eneas (remplacement du merveilleux païen par le merveilleux artistique ou mécanique, richesse des descriptions, introduction de l’amour chevaleresque, etc.) avait fait attribuer ce dernier poème à Benoit de Sainte-More, l’auteur incontesté du premier : aujourd’hui on reconnaît, non seulement que la preuve affirmative est impossible à faire, mais encore que certains traits linguistiques doivent faire pencher vers la négative, comme aussi ce fait que le jugement de Paris est traité dans l’Eneas et dans Troie d’une façon différente[1]. De même, on ne saurait accepter aujourd’hui les conclusions de l’Histoire littéraire de la France (XIX, 665 et suiv.), qui attribue également Thèbes à Benoit, en s’appuyant sur des preuves purement morales et sans tenir compte des seuls éléments d’information qui aient un caractère scientifique, l’étude de la langue des deux poèmes. Bien que cette étude ne soit point terminée en ce qui concerne Troie[2], nous nous sommes assuré personnellement que le trait linguistique le plus important de Thèbes manquait dans Troie aussi bien que dans l’Eneas[3].

Du reste, d’autres particularités de langue, une meilleure conservation de la déclinaison et l’emploi d’un certain nombre de mots archaïques, indiquent, contrairement à l’opinion longtemps accréditée, que Thèbes est antérieur à Troie et à l’Eneas. Il y a d’ailleurs de cette antériorité des preuves d’un autre genre. On trouve dans Troie (éd. Joly, v. 19 747-61) une allusion très nette aux exploits de Tydée à Thèbes, où il est dit qu’un mauvais garz le jeta mort : il s’agit de Ménalippe, que l’auteur de Thèbes appelle en effet un serjant, un garçon (var. gloton), tandis que Stace le nomme Astacides, du nom de son père Astacus, montrant ainsi qu’il n’était pas sans ancêtres. Il y a

  1. Voir Salverda de Grave, Eneas, introd., p. xxiv et suiv., et plus loin, chap. iii, p. 223.
  2. Elle ne sera possible que lorsqu’on aura une édition critique du Roman de Troie : c’est un travail de longue haleine, que nous avons entrepris et que nous espérons mener bientôt à bonne fin.
  3. Voir Roman de Thèbes, Introd., p. cxv.