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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/312

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L’ÉPOPÉE ANTIQUE

bien par contre dans Thèbes une allusion aux futurs exploits de Diomède devant Troie, mais, outre que l’auteur a pu connaître le combat de Diomède et d’Énée par un résumé latin d’Homère, les mots : qui fu mout proz, Fors Hector li mieudre de toz, qu’il applique à Énée, sont en désaccord avec Troie, dont l’auteur donne à Troïlus le premier rang après Hector et ne montre qu’une estime médiocre pour le traître Énée. En ce qui concerne l’Eneas, outre un certain nombre d’emprunts directs que l’auteur n’a nullement cherché à déguiser, nous voyons mentionnés les sept chefs de l’armée grecque devant Thèbes : Adrastus, Polinices, Tydeüs, Ipomedon, Partonopeus, Amphiaraus et Capaneus, qu’Énée trouve réunis aux Enfers, non loin des principaux héros de la guerre de Troie (v. 2669 et suiv.).

Si l’on adopte pour Troie, avec M. G. Paris, la date approximative de 1160, au delà de laquelle on ne saurait remonter, on voit que le Roman de Thèbes, qui lui est antérieur, se place entre 1150 et 1155. Il renferme d’ailleurs une allusion à la puissance des Almoravides (deux mille Amoraives figurent dans l’embuscade d’Hippomédon) qui nous oblige à remonter à une époque notablement antérieure à 1163, date de la mort du grand conquérant almohade Abdel-Moumen, qui enleva aux Almoravides la plus grande partie de leurs possessions en Espagne.

Quelles sources a eues à sa disposition l’auteur anonyme de Thèbes ? Il est difficile de donner ici une réponse précise : mais il nous paraît qu’on peut supposer sans invraisemblance qu’il avait sous les yeux, non pas le poème de Stace, mais un résumé de la Thébaïde précédé de l’histoire d’Œdipe, et que les épisodes sont l’œuvre de son imagination[1]. S’il avait connu le poème latin, il se serait sans doute plus souvent rapproché de son modèle, ce qu’il ne fait que rarement, et il n’aurait point supprimé ou modifié des détails que la disparition du merveilleux païen et la substitution des mœurs de son temps à celles de l’antiquité

  1. En particulier, le siège de Monflor et l’épisode du ravitaillement semblent bien destinés à varier et aussi à allonger les descriptions de batailles, que l’imitateur trouvait sans doute trop courtes dans son modèle, ce qui prouve qu’il ne disposait pas d’une source développée comme le poème de Stace. L’épisode de Daire le Roux, habilement rattaché à l’action principale et au ravitaillement, a été inspiré par le désir de montrer la force des barons féodaux en face du roi et d’établir leurs droits respectifs, etc. Ajoutons que les manuscrits glosés de Stace ne semblent pas avoir suggéré à l’auteur ces additions au sujet classique.