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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/313

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ROMANS ÉPIQUES

ne lui interdisaient pas de conserver[1]. D’autre part, notre hypothèse est nécessaire pour expliquer les détails, assez exacts[2], que donne le roman sur les portes de Thèbes et leurs défenseurs, passage où Stace n’a que 6 vers (VIII, 352-7), et aussi certaines modifications apportées à la légende thébaine telle que l’expose le poème latin, modifications qui doivent être d’origine ancienne, puisque ni les procédés familiers à l’auteur, ni les conditions particulières de temps et de lieu où il se trouvait, ne les expliquent.

Le Roman de Thèbes a été trop sévèrement jugé, dans son édition du Roman de Troie, par M. Joly[3], qui semble n’avoir pas su s’affranchir suffisamment de la tendance naturelle aux éditeurs à considérer l’œuvre qu’ils publient un peu comme la leur et à montrer pour elle des entrailles de père. Il est vrai que, convaincu de l’antériorité du Roman de Troie, dont l’auteur s’était nommé, et ayant insuffisamment étudié le Roman de Thèbes, puisqu’il ne connaissait que les trois manuscrits de Paris, dont un seul a été utilisé par lui, il était mal placé pour faire la comparaison et devait être surtout frappé par la ressemblance des procédés employés dans l’Eneas, Troie et Thèbes. Il reproche à l’auteur de ce dernier poème de n’avoir ni la variété, ni l’abondance de Benoit et de laisser avorter entre ses mains les développements si largement traités dans Troie : il y a là, croyons-nous, une illusion et une réelle injustice. C’est précisément la sobriété, la simplicité parfois élégante que nous louerions chez l’auteur de Thèbes : il faut lui savoir gré d’avoir fourni à Benoit le modèle de presque tous ses embellissements et de ne pas s’être laissé aller aussi souvent que lui à cette dangereuse facilité qui tombe si aisément dans la platitude et le rabâchage. Nous avons déjà vu que les remanieurs ne se sont pas fait faute de délayer notre poème, et ce qu’ils y ont ajouté n’était pas toujours un embellissement.

En un seul point, Benoit nous semble supérieur à l’auteur de Thèbes, c’est dans le curieux épisode de Troïlus et Briseïda. Nous aurons à examiner tout à l’heure si l’honneur de l’invention lui en revient tout entier : en attendant, constatons que l’auteur de

  1. Par exemple, il semble qu’il eût dû reproduire la scène où Stace nous représente Tydée rongeant la tête de son meurtrier, Ménalippe.
  2. Voir notre Légende d’Œdipe, p. 60 et suiv., et surtout p. 67, n. 1, et 275-276.
  3. Benoit de Sainte-More, etc., I, 100 et suiv.