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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/333

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ROMANS ÉPIQUES

modéré dans les conseils, courtois même et sensible aux louanges des dames, il ne leur sacrifie cependant rien de ce qu’il croit que l’honneur lui commande : Andromaque elle-même est durement traitée et presque battue lorsqu’elle veut l’empêcher d’aller prendre part à la bataille où il doit trouver la mort. Il inspire aux Troyens une confiance inébranlable, qui se traduit par ce mot énergique du trouveur après qu’il a succombé.

« La mort Hector les a vencus » (v. 16 188)[1].

Achille ne reprend le premier rang que lorsqu’il n’est pas en présence d’Hector : mais lorsque ces deux héros se rencontrent, presque toujours Achille est blessé ou abattu, et il ne vient à bout de son adversaire qu’en profitant d’un moment où, emmenant un roi prisonnier, il ne songe pas à se couvrir de son bouclier[2]. De même il ne triomphe de Troïlus qu’avec l’aide de ses Myrmidons, à qui il a donné l’ordre de s’attacher exclusivement à lui et qui l’ont déjà blessé et renversé de cheval. Le trouveur ne craint pas de lui faire reprocher ironiquement par Hector ses relations contre nature avec Patrocle, et Achille ne les nie point[3]. Cependant c’est encore une fière et grande figure qu’il nous peint, lorsqu’il nous montre les Troyens fuyant devant lui « comme le cerf devant les chiens ». Mais on sent chez Benoit l’intention arrêtée de diminuer le héros dans l’empressement avec lequel il le fait s’engager à abandonner les Grecs pour obtenir Polyxène, et dans la complaisance qu’il met à peindre ses angoisses quand il ignore l’accueil qui sera fait à sa demande, comme aussi dans ses hésitations à venger ses Myrmidons mas-

  1. Cette supériorité accordée à Hector explique qu’on ait fait pour lui, au xiiie siècle, ce qu’on faisait pour les héros des chansons de geste. Nous avons, dans trois manuscrits, un poème franco-vénitien qui raconte la jeunesse d’Hector, ses Enfances. On y voit le héros secourir le roi Filimenis, assiégé par le géant Hercule, qui est vaincu et tué par Hector. De même le Roman de Troie en prose (dans les mss. de l’Histoire ancienne qui l’ont inséré) se termine par un récit, sans doute dérivé d’un poème perdu, où Landomata, fils aîné d’Hector, se venge de la trahison d’Énée et d’Anténor. Ce récit fait suite à l’histoire d’Énée dans le ms. de la Bibliothèque nationale, fr. 821, qui offre une rédaction franco-italienne un peu différente. (Voir Romania, XXI, 37-38.)
  2. Déjà dans Dictys (voir § 3), Achille, embusqué, surprend et tue Hector au passage d’un fleuve au moment où il allait à la rencontre de Penthésilée : ce qui diminue singulièrement son mérite.
  3. De même dans l’Eneas, et plus complaisamment encore, ce reproche est fait à Énée (un Troyen cette fois) par la mère de Lavinie s’adressant à sa fille (v. 8565-8612).