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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/338

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L’ÉPOPÉE ANTIQUE

ainsi naissance au court et misérable résumé que nous possédons.

C’est ainsi, en effet, que se présente l’ouvrage du Pseudo-Darès, et il est impossible à un esprit non prévenu de le prendre pour un ouvrage original. En effet, il y a dans la composition de ce récit un manque de proportions qui frappe tout d’abord. Ainsi les onze premiers chapitres (il y en a quarante-quatre en tout) sont incomparablement plus développés que la narration proprement dite du siège, qui se réduit à une espèce de sommaire[1] ; il en est de même, dans le reste, de certaines parties, par exemple des adieux d’Hector et d’Andromaque et des amours d’Achille et de Polyxène. Les discours, dont plusieurs ont une certaine étendue, sont en style indirect, ce qui a lieu de surprendre de la part d’un prétendu témoin oculaire. Les portraits des principaux personnages troyens et grecs, le catalogue des vaisseaux des alliés grecs et la liste des alliés de Priam, constituent des détails peu en rapport avec l’étendue totale de l’ouvrage[2]. L’auteur s’oublie deux fois à parler de Darès à la troisième personne ; il abuse étrangement du présent historique pour indiquer des faits simples et successifs, ce qui fait souvent ressembler sa narration à un sommaire. Tous ces motifs, d’autres encore qu’on pourrait invoquer, surtout le manque de suite qu’on a relevé sur beaucoup de points[3], fortifient l’impression première laissée par l’ouvrage et font croire à une œuvre plus étendue, mieux liée, mieux proportionnée aussi, soit latine, soit grecque, ou plutôt grecque traduite ensuite en latin, dans laquelle les traditions postérieures sur la guerre de Troie avaient été mises en œuvre, comme elles le furent plus tard, au second siècle de notre ère, dans l’Héroïque de Philostrate.

  1. Ainsi, quand Hercule va successivement demander leur appui contre Laomédon à Castor et Pollux, à Télamon, à Pélée, à Nestor, l’auteur se répète jusqu’à quatre fois à peu près dans les mêmes termes. On peut en dire autant du passage où Anténor va tour à tour réclamer aux mêmes princes la liberté d’Hésione, emmenée en servitude par Télamon après le premier siège de Troie.
  2. D’ailleurs, sur 43 chefs grecs mentionnés au catalogue, il y en a 15 dont il n’est plus du tout question et 13 dont la mort seulement est constatée. Pour ce qui est des 29 alliés troyens, Sarpédon et Memnon seuls jouent un certain rôle, six autres ne figurent que pour mourir : quant aux 21 qui restent, ils sont négligés complètement.
  3. Voir Jæckel (Dares Phrygius und Benoit de Sainte-More, p. 5 et suiv.), qui a étudié la question dans tous ses détails, complétant Kœrting (Dictys und Dares, p. 65 et suiv.), qui avait brillamment inauguré la discussion contre Dunger et Joly, partisans d’un Darès et d’un Dictys uniques.