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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/355

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ROMANS ÉPIQUES

sible, qui cède à l’amour du prince troyen, encouragée par son cousin Pandaro[1], ami trop complaisant de Troïlus, dont Shakespeare, dans sa célèbre comédie de Troïlus and Cressida, a encore accentué le rôle, plus conforme aux mœurs du xive siècle italien qu’aux nôtres. Il nous la représente comme plus sérieusement éprise de Troïlus que la Briseïda de Benoit, plus fidèle à son souvenir, plus hésitante lorsqu’il s’agit de l’abandonner pour Diomède. L’intérêt se concentre principalement au début sur Troïlus amoureux non encore parvenu au but de ses désirs, et plus tard sur Troïlus toujours amoureux malgré le manquement de Griseida à la promesse de revenir le voir à Troie, et désespéré quand il ne peut plus douter de son malheur. L’intérêt de cette étude de psychologie amoureuse toute personnelle, à laquelle excellait, comme on sait, Boccace, donne à son poème une valeur artistique et une originalité qui le mettent notablement au-dessus du Filocolo et des autres œuvres que lui a inspirées son amour, d’abord heureux, pour l’immortelle Fiammetta[2].

Le Filostrato a été habilement traduit en français dès la fin du xive siècle par (Pierre ?) de Beauvau, sénéchal d’Anjou et de Provence. À la même époque, il a été maladroitement imité par un anonyme semi-lettré dans un poème récemment publié de 121 octaves, qui, renversant les rôles, nous montre une sœur d’Hélène, Insidoria, tombant tout à coup amoureuse de Patrocolo (Patrocle), qui apprend ses sentiments par un ami d’enfance, Alfeo, et les partage aussitôt, puis se tuant volontairement lorsqu’elle apprend la mort de son amant devant Troie[3].


    cette dernière fille du prêtre Crisis selon les uns, de Calchas selon les autres. Voir H. Morf, Romania, XXI, 101.

  1. Le nom est emprunté à Benoit (vers 6645), qui en fait un roi de Sezile (cf. Darès, xvii : de Zelia Pandarus), et non à Homère, Iliade, II, 824. Voir H. Morf, l. l. p. 106.
  2. Voir Moland et d’Héricaut, Nouvelles françaises en prose du xive siècle (Introduction) ; Joly, loc. laud., I, 503 et suiv. ; Gorra, loc. laud., p. 336 et suiv. ; Crescini, Contribiti agli studi sul Boccacio (Turin, 1887), p. 186 et suiv. Ce dernier croit que le Filostrato, quoique commencé après le Filocolo, fut terminé avant lui et écrit pendant une absence de Naples de la Fiammetta, c’est-à-dire en 1339 ou 1340. La plupart des critiques, au contraire, croient, surtout à cause de la perfection de la forme, qu’il a été écrit après la rupture, et M. Novati, Istoria di Patroclo e d’Insidoria (Turin, 1888), p. xl, n. 1, fait justement remarquer que, si Boccace a atténué les sévérités de Benoit à l’égard de l’héroïne, c’est qu’il conservait le secret espoir de rentrer en grâce auprès de celle qu’il aimait.
  3. Gorra, loc. laud., p. 359, no 1, signale, d’après Quadrio, une autre imitation du xvie siècle, en dix chants, due à Angelo Leonico, de Gênes, et intitulée : L’amore di Troilo e di Griseida.