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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/356

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L’ÉPOPÉE ANTIQUE

Vers 1360, le vieux poète anglais Chaucer l’imite à son tour dans son Boke of Troïlus and Cresseide, dont le succès considérable ne le cède qu’à celui de l’amusante comédie de Shakespeare (1600 ?), qui semble avoir puisé les principaux éléments de son Troïlus and Cresseide dans la traduction anglaise qu’avait publiée, vers 1474, l’imprimeur Caxton du Recueil des histoires de Troie de Raoul Lefèvre[1].

III. Roman d’Eneas. — L’Eneas, dont l’auteur est inconnu, se compose, dans l’édition de M. J. Salverda de Grave, de 10 156 vers octosyllabiques à rime plate.

L’histoire d’Énée se présentait comme une suite naturelle de celle de Troie, et l’on sait quelle a été la célébrité de Virgile au moyen âge et comment l’imagination populaire en a fait un thaumaturge et un magicien merveilleux[2] : il n’y a donc pas lieu de s’étonner qu’un trouveur ait essayé de faire connaître le chef-d’œuvre du poète latin au grand public, c’est-à-dire à tous ceux qui n’entendaient pas le latin.

Écrivant très probablement peu après Benoit de Sainte-More (entre 1170 et 1175)[3] et appartenant à la même école, il est naturel qu’il ait usé des mêmes procédés et qu’il se soit inspiré, même pour les détails de la forme, à la fois du Roman de Troie et du Roman de Thèbes[4], plus particulièrement du premier, dont il exagère encore les richesses d’architecture et d’ornementation et reproduit des merveilles de mécanique qui ont sans doute une origine orientale ou byzantine, par exemple la lampe qui brûle perpétuellement dans les tombeaux de Camille et de Pallas, comme dans celui d’Hector, et l’archer qui menace

  1. Nous ne pouvons, même d’un simple mot, indiquer ici, comme nous l’avons fait pour le Roman de Thèbes, les innombrables allusions au Roman de Troie que fournit la littérature du moyen âge. Contentons-nous de renvoyer, pour Troie et pour les autres poèmes du cycle antique, à R. Dernedde, Ueber die den altfranz. Dichtern bekannten epischen Stoffe aus dem Alterthum, 1887), et d’ajouter, en ce qui concerne Briseïda, que l’héroïne de la nouvelle 90 de Sercambi (éd. R. Renier) porte ce nom : c’est une épouse infidèle dont l’histoire n’a d’ailleurs pas grand’chose à voir avec celle de la fille de Calchas.
  2. Voir Dom. Comparetti, Virgilio nel medio evo, 2 vol. in-8, Livourne, 1872.
  3. Sur les raisons qui nous font considérer l’Eneas comme postérieur à Thèbes et à Troie, voir plus haut, p. 181. Ajoutons qu’on a récemment relevé dans Chrétien plusieurs passages imités de ce poème. Cf. Wilmotte, Moyen âge, V, 8 et suiv.
  4. Cf., par exemple, Eneas, 1909-10, et Thèbes, 2029-30 ; Eneas, 6898, 6899. et Thèbes, 7940, 7941, etc.