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ROMANS HISTORIQUES OU PSEUDO-HISTORIQUES

habité par des femmes qui, tous les ans, passent le fleuve « Meothedie » pour aller s’unir à des chevaliers qui les attendent, et leur envoient les garçons nés de ces unions, réservant pour elles les filles[1]. Il prend aussitôt la résolution de soumettre ce curieux pays. La reine, avertie, envoie à sa rencontre deux jeunes vierges Flore et Beauté, chargées de lui offrir des présents et la suzeraineté de sa terre. Alexandre accepte et, après une entrevue très cordiale, il annonce à la reine que Flore et Beauté se sont fiancées la première à Clin, la seconde à Aristé[2].

Ici se place une suite d’épisodes d’environ 1500 vers, qui manquent à un grand nombre de mss., et qui se présentent comme une interpolation par cette raison qu’ils sont écrits en laisses qu’on pourrait appeler, avec M. P. Meyer, dérivatives, car chaque tirade masculine est suivie de la tirade féminine correspondante[3]. Le Roman reprend alors, avec plus de détails, le récit du complot contre Alexandre, seulement indiqué plus haut. Une lettre d’Olympias engage son fils à se défier d’Antipater, seigneur de Sidon, et de Divinuspater, seigneur de Tyr[4]. Alexandre les rap-

  1. Cf. ci-dessus, p. 194 et 213, et Roman de Troie, vers 23 228-23 282.
  2. Cet épisode semble avoir pour source le Valerius complet ou une rédaction intermédiaire entre celui-ci et l’abrégé de Valerius. Voir § 3 et P. Meyer. Alexandre, etc., II, 194, 195.
  3. À l’instigation d’un certain Gratien, qui se plaint à lui de son seigneur le duc Melcis, Alexandre envahit la Chaldée. Il assiège d’abord Defur, que tenaient deux frères vassaux du duc, Dauris et Floridas, prend la ville et unit à Dauris Escavie, fille de Melcis, qui vient d’être tué par Gratien. Floridas, à son tour, reçoit Cassandre, fille du roi de Caras, Solomas, après qu’Alexandre a emporté cette ville. Le trouveur raconte ensuite un séjour de deux semaines à Tarse, auprès de la reine Candace, l’aventure de l’eau qui n’est potable que pour celui qui n’est ni traître ni avare, et qu’Alexandre ne peut boire parce qu’il vient de faire preuve de convoitise, enfin celle de l’œil humain dessiné sur une pierre, qui est excessivement lourd lorsqu’il est découvert, et pèse moins que deux besants d’or lorsqu’il est couvert. Ce dernier épisode, qui ne figure pas dans le Roman imprimé, a été publié par M. P. Meyer, Romania, XI, 228 et suiv. Il dérive de l’Alexandri magni iter ad Paradisum, œuvre de la première moitié du xiie siècle, dont l’origine première semble être dans le Talmud. L’œil (une pierre précieuse) y est remis à Alexandre par un habitant d’une ville complètement fermée située sur une ile du Gange, et qui répond ainsi à sa demande de soumission, ajoutant que, lorsqu’il connaîtra la nature et la vertu de cette pierre, il perdra toute ambition. Revenu dans ses États, un vieillard juif lui apprend que cette ville est le séjour des âmes des justes : l’œil, auquel rien ne peut faire contrepoids et qui devient plus léger qu’une plume lorsqu’on le couvre d’un peu de poussière, signifie la convoitise humaine, et en particulier celle d’Alexandre. Voir P. Meyer, l. l., p. 48, et sur l’origine chaldéenne de plusieurs traits du Voyage d’Alexandre, Bruno Meissner, Alexander und Gilgamos (Halle, 1894), et Romania, XXIV, 153.
  4. Ceci est en contradiction avec la première partie du Roman, où Tyr est donnée à Antipater.