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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/375

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ROMANS HISTORIQUES OU PSEUDO-HISTORIQUES

de Lambert le Tort et par « un sentiment très français qui fait en quelque sorte explosion de la façon la plus inattendue[1] » : elle doit être l’œuvre d’Alexandre de Bernay (sans doute le même que l’auteur du Roman d’Athis et Prophilias), dont le surnom de Paris s’expliquerait ainsi par son amour exclusif pour la France proprement dite. Comme Alexandre, qui s’était déjà nommé vers la fin de la troisième branche, s’est encore nommé à la fin de la quatrième, il est possible qu’il ait remanié l’œuvre de Pierre (composée vers 1180) pour l’englober dans sa compilation.

Le Fuerre de Gadres, qui constitue la plus grande partie de la deuxième branche, est l’œuvre d’un certain Eustache. Alexandre de Bernay semble être celui qui l’a raccordé, non sans habileté au roman de Lambert, où il introduisait en même temps quelques additions. Les manuscrits de l’Arsenal et de Venise, qui contiennent la rédaction décasyllabique, représentent, ou à peu près, cet état du Roman. Plus tard, selon M. P. Meyer, Alexandre aurait repris l’œuvre entière, « rédigeant, tant d’après le poème en vers décasyllabiques que d’après les documents latins, les 3300 vers, ou environ, qui forment la première branche, plaçant à la suite le Fuerre de Gadres d’Eustache, et composant encore toute la portion du Roman qui s’étend de la fin du Fuerre à la branche de Lambert[2] ». Nous nous en tiendrons, sur cette question si compliquée, à l’opinion de l’éminent érudit.

3. Destinées du Roman d’Alexandre. — Alexandre étant mort traîtreusement empoisonné, il était naturel, dans les idées du moyen âge, qu’on songeât à raconter le châtiment des traîtres. C’est ce qu’a fait, dès avant 1190, Gui de Cambrai, qui écrivait par ordre de Raoul, comte de Clermont en Beauvoisis, et de son frère Simon, et qui est sans doute le même que celui qui mit en vers de huit syllabes l’histoire de Barlaam et de Josaphat[3].

Environ un siècle plus tard, Jean le Nevelon (ou Nevelaux,

  1. P. Meyer, Alexandre, etc., II, 228.
  2. P. Meyer, Alexandre, etc., II, 244.
  3. Les meurtriers d’Alexandre, qui s’étaient fait bâtir en un lieu désert de Grèce un château fort, Arondel, y sont attaqués par les douze pairs, qui ont découvert par hasard leur retraite, faits prisonniers et livrés aux plus affreux supplices, malgré l’appui de leur suzerain, le roi Marinde ; puis la terre est donnée à deux jeunes chevaliers qui avaient conduit les pairs à Arondel.