Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/401

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Tu as un moyen de la punir bien mieux en la laissant vivre. Livre-nous-la ; nous en ferons notre plaisir et nous lui ferons partager notre vie misérable. Alors elle regrettera la mort et comprendra son crime ! »

Le roi court à Iseut, qui lui crie : « Pitié ! » mais en vain. Il la prend par la main et la livre aux lépreux.

Par bonheur, les lépreux, emmenant Iseut, passent à côté de l’endroit où Tristan se tenait embusqué avec son écuyer Governal. Il reconnaît son amie et s’élance au-devant de la troupe : « Vous l’avez assez loin menée. Laissez-la, si vous ne voulez qu’avec cette épée je ne fasse voler vos têtes ! » Le chef de la bande s’écrie : « Aux bâtons ! On verra bien qui est des nôtres ! » Il fallait voir tous ces lépreux se mettre en défense, ôter leurs manteaux et agiter leurs béquilles ! Governal est venu au cri ; il avait pris une branche de chêne dont il frappe celui qui tenait Iseut, et il la délivre. Béroul ajoute que Tristan était trop preux et courtois pour occire de pareilles gens, quoi qu’en aient dit certains conteurs, qui ne savent pas bien l’histoire.

La forêt du Morois. — Tristan s’en va avec la reine. Iseut ne sent plus aucun mal, et les deux amants s’enfoncent dans la forêt du Morois. Il fallait y vivre ; mais Tristan était fort bon archer, et Governal avait enlever un arc à un forestier.

Tristan prit l’arc, par le bois va,
Vit un chevreuil, encoche et tire.
Tristan l’a pris, s’en vient avec,
Puis il coupe aux arbres des feuilles ;
Iseut les a épais jonchées.
Tristan s’assit avec la reine,
Governal savait la cuisine,
De sèche buche fait bon feu.
La reine est fortement lassée
Par la peur où elle a passé ;
Sommeil lui prit, dormir voulut
Entre les bras de son ami.

L’auteur s’interrompt ici pour raconter la fin du méchant nain. Il connaissait un secret du roi, que les barons voulurent lui faire découvrir, un jour qu’il était ivre. Il emmena trois d’entre eux à la campagne, et cria le secret dans un trou, au pied d’une aubépine :

« Marc a oreilles de cheval. »

Les barons l’entendent, et, peu de temps après, racontent au roi qu’ils savent son secret : « C’est ce sorcier de nain, dit le roi, qui a fait que j’ai des oreilles de cheval. » Puis il prend son épée et lui coupe la tête.