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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/402

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Cependant, Tristan et Iseut menaient dans la forêt une vie âpre et dure ; mais ils s’entr’aiment tant de bonne amour, qu’ils ne sentent aucune douleur. Un jour, ils vinrent par aventure à un ermitage, et l’ermite voulut les exciter au repentir. Tristan lui répond qu’ils s’aiment par l’effet du breuvage magique et qu’ils ne peuvent faire autrement. Iseut pleure aux pieds de l’ermite et lui crie merci, mais il ne saurait les absoudre :

Nul ne peut donner pénitence
A un pécheur sans repentence…
Que Dieu, par qui fut fait le monde.
Vous donne le vrai repentir !

Le roi Marc a fait mettre à prix la tête de Tristan. Celui-ci avait un beau chien de chasse, nommé Husdent, qui, resté à l’attache depuis le départ de son maître, avait refusé toute nourriture et n’avait cessé de geindre et de pleurer, ce qui faisait dire au roi :

Certes, moult a le chien grand sens.
Je ne crois pas qu’en notre temps
En la terre de Cornouaille
Soit chevalier qui Tristan vaille.

On conseille au roi de faire détacher Husdent, pour voir bien certainement « si c’est pour la pitié de son seigneur qu’il mène telle douleur » ; car, s’il est enragé, à peine délié il voudra mordre bête ou gens.

Le roi appelle un écuyer et lui ordonne de détacher le chien. Chacun se met à l’abri, on monte sur les bancs, on se perche aussi haut qu’on peut. Mais Husdent s’inquiète peu des gens. Aussitôt libre, il traverse la salle, sort, et se dirige vers la maison où il avait l’habitude de trouver Tristan. Le roi et les autres le suivent. Le chien pousse des cris, souvent gronde, et manifeste une grande douleur. Il a trouvé la trace de son maître ; Tristan n’a pas fait un pas, quand il fut sur point d’être brûlé, qu’Husdent ne refasse après lui. Il entre dans la chapelle, saute sur l’autel, passe par la fenêtre, dévale le rocher, s’arrête un moment au bouquet de bois où Tristan s’était caché, puis continue sa route. Nul ne le voit, qui n’en ait pitié. Les chevaliers conseillent au roi de ne pas le suivre davantage :