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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/403

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« il pourrait nous mener en tel lieu, d’où le retour serait difficile »

Husdent s’enfonce dans la forêt, qui retentit de ses cris. « Ma foi ! dit Tristan, j’entends Husdent. » Les fugitifs sont plein d’effroi, car ils craignent que le roi ne les cherche, conduit par le chien. Tristan s’émeut et tend son arc. Mais Husdent arrive près d’eux et fait mille fêtes à son maître, à Iseut la blonde, à Governal et au cheval. Tristan en a grand pitié :

« Ah ! Dieu, fait-il, par quel malheur
Nous a ce pauvre chien suivis !
Chien qui en bois ne tient sa voix
N’est utile à homme haï.
Partout, par plaines et par bois,
Dame, le roi nous fait chercher.
S’il nous trouvait et pouvait prendre,
Il nous ferait brûler ou pendre.
Nous n’avons nul besoin de chien.
Si Husdent avec nous demeure,
Il sera cause de malheurs.
Mieux vaut encor qu’il soit occis
Que nous soyons par son cri pris.
Moult me pèse, pour sa bonté
Qu’il ait ici la mort cherché.
Mais comment pourrais-je bien faire ?
Aidez-moi à prendre parti.
De nous garder avons besoin. »

Iseut demande grâce pour Husdent, et cite l’exemple d’un chien qu’on avait dressé à chasser sans aboyer. Tristan ne demande pas mieux que d’essayer. Il réussit à merveille. En moins d’un mois Husdent était complètement dressé, et il rendit à son maître les plus grands services.

Tristan et Iseut restèrent longtemps dans la forêt du Morois, n’osant jamais coucher deux jours de suite au même endroit. Sans pain, ne vivant que de la chair des animaux, ils perdent leurs couleurs. Leurs vêtements, déchirés par les branches, sont en lambeaux, et chacun d’eux est tourmenté par la crainte que l’autre ne se repente de sa folie. Un des félons qui les avaient dénoncés au roi commit l’imprudence, pendant une chasse, de s’engager dans la forêt. Governal le surprit, lui coupa la tête et la porta à Tristan. Désormais nul n’ose plus s’aventurer ; ils ont la forêt pour eux seuls. Tristan trouve le moyen de fabriquer un arc qui ne manque jamais son but, et qu’il appelle « l’arc qui ne manque ».

Les amants endormis sont surpris par le roi. — Par un matin d’été, à la rosée, au moment où les oiseaux chantent le point du jour, Tristan quitte la loge de feuillage où il avait passé la nuit, il ceint son épée et va chasser dans le bois. Il