Aller au contenu

Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/426

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le Rossignol. — Le lai du Rossignol (du Laustic en breton) rappelle le lai du Chèvrefeuille par sa brièveté et sa touchante simplicité.

Dans le pays de Saint-Malo, un chevalier s’éprit de la femme de son voisin. Ils s’entr’aimèrent tendrement. La dame étant bien gardée, ils ne pouvaient se réunir ; mais comme leurs fenêtres étaient en face l’une de l’autre, ils pouvaient se voir et se parler à loisir, en prenant les précautions utiles, et même se jeter de petits présents d’amour. Au printemps, pendant la nuit, quand la lune luisait, la dame se levait de près de son mari, s’affublait de son manteau et venait à la fenêtre pour voir son ami qu’elle y savait. Le mari s’aperçut et s’irrita de ces allées et venues, et demanda à sa femme ce qu’elle faisait : « Je vais, dit-elle, entendre chanter le rossignol. J’y ai tant de plaisir que je ne saurais dormir. » Le mari en rit de colère. Le lendemain il fit tendre des pièges dans le jardin, s’empara d’un rossignol vivant et le porta à sa femme en lui disant : « Voici le rossignol qui vous a tant fait veiller ; vous pouvez maintenant dormir en paix, car il ne vous éveillera plus. » Elle le lui demande, mais il lui « rompt le cou » de ses deux mains et le jette tout sanglant sur elle. Désormais elle ne pourra plus aller à la fenêtre voir son ami. Pour l’avertir, elle enveloppe le petit corps dans une pièce de soie brodée d’or, et le lui envoie par un sien écuyer chargé de lui conter ce qui s’est passé. Le chevalier désolé fit faire un coffret d’or fin orné de pierres précieuses, qu’il fit sceller après y avoir mis le rossignol. Et le coffret ne le quitta plus.

Ces deux lais sont ceux qui peuvent le mieux, semble-t-il, nous donner une idée des lais bretons, ou soi-disant tels, et pour la dimension et pour le caractère même du récit. Les autres lais de Marie de France sont de vraies nouvelles, au sens moderne de ce mot. Ce sont toujours de douces histoires d’amour, empreintes d’une mélancolique tendresse. Nous nous arrêterons à quelques-uns des plus importants, en regrettant d’être obligé de faire un choix[1].

Les Deux amants. — Un grand effort d’amour, aboutis-

  1. Tous les lais contenus dans l’édition de Warnke ont été analysés dans la Revue de philologie française (Paris, Bouillon, t. VIII, p. 161 et suiv.).