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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/429

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Et en mon cœur moult désirée :
Autre femme que vous n’aimai,
Et jamais autre n’aimerai.
Mais ne pouvais à vous venir,
Ni hors de mon pays sortir,
Si vous ne m’aviez demandé.
Je puis bien être votre ami ! »

La dame se rassure alors, répond au beau chevalier et consent à lui octroyer son amour :

Jamais si beau couple on ne vit !

Bien des fois le mystérieux chevalier revint ainsi trouver son amie. Mais leur secret fut surpris. Le vieux seigneur se hâta de faire fabriquer de grandes broches de fer dont on rendit les pointes plus tranchantes qu’un rasoir, et il les fit assujettir, bien serrées, sur la fenêtre par où le chevalier passait. Dieu ! Que ne sait-il la trahison que lui préparent les félons !

Le lendemain matin, à peine la dame eut-elle désiré son ami, qu’il arriva en volant à la fenêtre. Mais l’une des broches lui traverse le corps. Quand il se voit blessé à mort, il se dégage et entre dans la chambre. Il descend sur le lit de la dame, qui en est tout ensanglanté. À la vue du sang et de la plaie, elle est remplie d’angoisse. « Ma douce amie, lui dit-il, je perds la vie par amour pour vous. Je vous avais bien dit qu’il en adviendrait ainsi et qu’une imprudence nous tuerait. » Elle se pâme de douleur, mais il la réconforte doucement, lui disant qu’il ne sert à rien de se désoler, qu’elle aura de lui un fils preux et vaillant auquel elle donnera le nom d’Yonec, et qui les vengera. Le sang continuait à couler de sa plaie. Il ne peut demeurer davantage et part.

Mais elle le suit en poussant de grands cris. Elle saute, en chemise, par une fenêtre de vingt pieds de haut. C’est merveille si elle ne se tue pas. Elle suit son ami, à la trace du sang, à travers les sentiers et les prés, et arrive ainsi sous les murs d’une ville magnifique, dont toutes les tours et les maisons paraissaient bâties en argent. Elle trouve une des portes ouvertes, entre, toujours à la trace du sang frais, traverse le bourg, pénètre dans le château, traverse deux chambres dans chacune desquelles elle voit un chevalier dormant, et enfin, dans une