Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/452

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Un jour de Pentecôte où le roi tenait sa cour à Carduel, dans le pays de Galles, ses chevaliers devisaient entre eux. L’un d’eux se mit à raconter une aventure qui cependant ne s’était pas terminée à son honneur. Il avait fait la rencontre, dans la forêt de Broceliande, d’un vilain monstueux, gardeur de taureaux sauvages, sur les indications duquel il s’était dirigé vers une source merveilleuse, abritée par un pin de toute beauté ; près de la source se trouvait un « perron » d’émeraude ; un bassin d’or était suspendu au pin par une longue chaîne. Quoique averti des effets terribles qui devaient en résulter, il avait répandu, avec le bassin d’or, de l’eau de la source sur le perron. Aussitôt une tempête épouvantable s’était abattue autour de lui sur la forêt, avec pluie, grêle, éclairs et coups de foudre. Une fois l’orage apaisé, il avait vu le pin couvert d’oiseaux qui chantaient harmonieusement ; et il s’abandonnait au charme de cette musique, lorsqu’un chevalier était arrivé sur lui avec un grand bruit, l’accusant d’avoir, en déchaînant la tempête, saccagé sa forêt et ébranlé son château ; puis le chevalier l’avait attaqué, désarmé, désarçonné, et l’avait laissé « honteux et mat ».

À ce récit, un autre chevalier de la cour d’Arthur, Ivain, déclare qu’il ira venger la honte de son compagnon.

Survient le roi, à qui on raconte l’aventure, et qui déclare de son côté qu’avant quinze jours il ira voir la fontaine magique, accompagné de tous ceux qui voudront. Ivain, craignant que dans l’expédition royale un autre que lui ne soit désigné pour combattre le chevalier mystérieux, part le premier sans en rien dire à personne ; il réussit à trouver la fontaine, déchaîne la tempête, et se bat vaillamment contre le chevalier, qu’il blesse à mort et qu’il poursuit jusque dans son château. Mais la porte se referme derrière lui, et il courrait les plus grands dangers si une jeune suivante du nom de Lunette, qu’il a jadis accueillie avec bienveillance à la cour, où elle venait porter un message, ne lui sauvait la vie en lui donnant un anneau qui le rend invisible. Il devient bientôt amoureux de la veuve de sa victime, qu’il peut voir sans en être vu, et Lunette le sert encore en amenant habilement la dame à l’idée d’épouser le vainqueur de son premier mari, qui sera le meilleur défenseur de ses droits, de ses domaines et de la fontaine merveilleuse. Il y a là une