Aller au contenu

Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

paraissent l’avoir été l’ibère, le gaulois, le ligure, l’étrusque et le latin.

La grammaire. — Je n’insiste pas sur ce point, car il faudrait appuyer ma démonstration d’exposés techniques qui mettraient la thèse en évidence, mais qui ne peuvent trouver place ici. Quand on dit que les langues indigènes pénétrées par le lexique latin auraient gardé leur individualité propre, en quoi fait-on consister cette individualité, et où en retrouve-t-on les traces ? Puisque ce n’est pas dans les mots, ce ne peut être que dans les formes et les phrases, autrement dit dans la grammaire et la syntaxe. Assurément, s’il était démontré que la grammaire française n’est pas d’origine latine, on pourrait dire qu’il n’y a pas identité entre le français et le latin, car c’est là en effet le propre d’une langue. On peut parler français avec des mots anglais ou allemands ; ce qu’il faut considérer pour savoir quelle langue parle un homme, c’est la manière dont il traite les mots pour leur faire jouer un rôle comme partie du discours, et dont il marque les rapports entre eux. Mais, précisément, par là aussi nous parlons latin. Nulle part même, la parenté des langues romanes et leur identité avec le latin ne s’accusent avec plus de force.

Quelque immense en effet que soit la distance qui sépare la grammaire de Lucrèce de celle de Victor Hugo, on les voit se rapprocher étonnamment l’une de l’autre, au fur et à mesure qu’on étudie les écrits des siècles qui les séparent, qu’on descend de Lucrèce à Sidoine Apollinaire, et surtout qu’on remonte de Hugo à quelqu’une de ces chansons de geste que son temps a vu exhumer. Certes je ne nie pas que du plus ancien français au latin le plus récent, il n’y ait quelques solutions brusques de continuité, malgré les indications que nous fournit le latin mérovingien sur les transitions. Nous verrons plus loin pourquoi certains anneaux manquent à la chaîne, et comment, faute de documents suffisants, reflétant directement le latin parlé du IVe au VIIIe siècle, nous sommes obligés, dans l’étude de diverses questions, de remplacer des constatations positives, que nous ne pouvons faire en assez grand nombre, par des inductions et, disons-le franchement, quelquefois par des hypothèses.

Mais quoi qu’il en soit, dans l’état actuel de la science, la