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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/465

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dans le « palais spirituel » : là, devant une table d’argent, sur laquelle reposait le Graal, couvert d’un voile de soie rouge, ils venaient prier chaque matin. Un jour, « Galaad vit un homme vêtu en semblance d’évêque, qui était à genoux devant la table, et puis alla chanter la messe de la glorieuse mère de Dieu. Et quand il fut au secret de la messe, il appela Galaad et lui dit : « Avance, serviteur de Jésus-Christ, tu verras ce que tu as tant demandé. » Il s’approcha, et commença à voir le saint vase dans toute sa beauté[1], et sitôt qu’il l’eut vu, il commença à trembler merveilleusement. Lors tendit ses mains et dit : « Seigneur Dieu, je te rends grâce de ce que tu m’as accompli mon désir. » Lors commença ses prières et dit : « Or vois-je bien les grandes merveilles du Saint-Graal, et je te prie, mon Dieu, que je trépasse de ce monde et que j’aille en paradis. » Sitôt que Galaad eut fait sa prière à Notre Seigneur, le prudhomme qui était revêtu en semblance d’évêque prit le corpus domini et le donna à Galaad et il le reçut en grande dévotion. Et le prudhomme lui dit : « Galaad, sais-tu qui je suis ? — Non, seigneur, si vous ne me le dites. — Or, sache, Galaad, que je suis Josephus, le fils de Joseph d’Arimathie, que Notre Seigneur t’a envoyé pour te faire compagnie. Et sais-tu pourquoi il m’y a envoyé plutôt qu’un autre ? Parce que tu me ressembles en deux choses, l’une en ce que tu as vu les merveilles du Saint-Graal, l’autre en ce que tu es resté vierge comme moi. » Quand le prudhomme eut ainsi parlé, Galaad vint à Perceval et à Boort et les baisa, puis il dit à Boort : « Seigneur, saluez de ma part, s’il vous plaît, monseigneur Lancelot du Lac mon père, sitôt que vous le verrez. » Puis retourna Galaad devant la table et se mit à genoux ; mais il n’y eut guère été quand il tomba à terre, car l’âme lui était partie du corps, et les anges l’emportèrent, faisant grand joie, devant notre Seigneur. Après que Galaad fut trépassé, ses deux compagnons furent témoins d’une grande merveille, car une main vint du ciel, qui prit le saint vase et la lance, et l’emporta tellement qu’il ne fut onques depuis vu. »

On a remarqué combien il était étrange que la légende du

  1. Le Graal a déjà été vu, à diverses reprises, par plusieurs chevaliers et par Galaad lui-même, qui l’a porté dans le palais spirituel avec l’aide de ses compagnons, mais il le voit alors « plus évidemment », dit le texte, qu’on ne l’a jamais vu.