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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/488

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Du VIe au IXe siècle, une série non interrompue de canons de conciles interdisant aux ecclésiastiques de participer ou d’assister aux danses ou aux repas qui en sont ordinairement suivis, de les tolérer sur le parvis ou dans l’enceinte même des églises[1], nous apprennent par là même la place que ce genre de divertissement tenait dans la vie : or, comme la danse était ordinairement accompagnée de chants, ce sont là autant de témoignages sur la plus ancienne période de notre poésie lyrique. Ces chansons de danse étaient le plus souvent, comme il est naturel[2], badines et joyeuses et avaient la plupart du temps l’amour pour sujet : les textes auxquels nous venons de faire allusion l’indiquent très clairement par les épithètes dont ils les flétrissent, parmi lesquelles reparaissent continuellement celles de turpia, obscena, etc.

À mesure que nous avançons dans le temps, les allusions deviennent à la fois plus nombreuses et plus précises et quelques-unes se rapportent à une nouvelle variété de la poésie lyrique : dès l’an 764 un capitulaire de Charlemagne interdisait les chants satiriques ; pendant la première croisade on en chantait contre un chapelain du duc de Normandie ; vers la même époque, Yves de Chartres nous apprend que certaines chansons de ce genre, composées sur un jeune homme scandaleusement promu à l’évêché d’Orléans, étaient répétées sur les places et dans les carrefours ; en 1124, un chevalier normand, Luc de la Barre, était condamné par Henri Ier, roi d’Angleterre, à avoir les yeux crevés, parce qu’il avait composé et chanté contre lui des chansons injurieuses.

Nous pouvons donc constater l’existence, dès l’époque la plus ancienne, des trois principales variétés de la poésie lyrique, religieuse, amoureuse, satirique. Ce n’est point absolument tout ce qu’il nous est permis d’en savoir : nous connaissons en effet les noms sous lesquels on en désignait les principaux genres et ces noms fournissent quelques indications sur la forme qu’ils revêtaient.

  1. Voir G. Gröber, Zur Volkskunde aus Concilbeschlüssen und Capitularien, Strasbourg, 1893.
  2. Non point cependant toujours, comme on le verra plus loin.