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LES CHANSONS

s’il nous reste une dizaine de pièces dont on puisse affirmer avec certitude qu’elles sont antérieures au milieu du XIIe siècle, c’est-à-dire à l’époque où s’exerça, et presque aussitôt avec une autorité tyrannique, l’influence provençale ; de plus, toutes ces pièces, sauf une[1], sont tellement apparentées à la poésie épique, qu’il serait dangereux d’en rien conclure en ce qui concerne les genres purement lyriques.

Toute cette poésie ne revit pour nous que dans des œuvres qui accusent, en traits indéniables, l’influence courtoise : cependant en analysant celles-ci avec précision on peut y retrouver quelques-unes des particularités qui devaient caractériser la période antérieure à cette influence. C’est ce que nous allons essayer de faire dans les pages qui suivent.


I. — Genres objectifs.


Le caractère commun de toutes ces œuvres, par opposition à celles qui sont purement courtoises, c’est qu’elles mettent en scène des personnages, qu’elles sont objectives. Sans doute il peut arriver que le poète y apparaisse, y joue un rôle plus ou moins important, mais nous verrons que c’est là un trait accidentel et nullement primitif, qui ne tient pas à la nature même des genres où on le rencontre le plus souvent. Ceux où l’on peut espérer retrouver quelque chose de la lyrique autochtone des pays du Nord sont la chanson d’histoire, la chanson à personnages, la pastourelle et l’aube ; il faut y ajouter des fragments de rondets ou chansons à danser, qui nous permettent de reconstituer un genre qui a été un des plus riches et reste à certains égards l’un des plus intéressants.

Chanson d’histoire. — Les chansons d’histoire ou de toile (le moyen âge a connu les deux termes[2]) sont à mi-chemin

  1. Celle-ci est une chanson de croisade (publiée par M. P. Meyer dans son Recueil d’anciens textes, no 39), datée de 1146 ou 1147, d’un style ferme et sobre, qui nous fait vivement regretter la disparition des autres œuvres lyriques du même temps.
  2. Chansons d’histoire, parce qu’elles déroulent des faits, une histoire ; chansons de toile, peut-être parce que leurs héroïnes sont le plus souvent représentées