Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/491

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entre la poésie épique et la poésie lyrique : on pourrait ajouter qu’elles tiennent aussi de la poésie dramatique, de sorte qu’on serait tenté de dire d’elles ce que Goethe disait de la ballade, « qu’elles réunissent les trois formes essentielles de la poésie » : épiques par le sujet, lyriques par le rythme, elles sont dramatiques par le procédé d’exposition. L’action qu’elles retracent (dans des couplets d’un petit nombre de vers terminés par un refrain) est très simple et encore ne nous en montrent-elles que les moments les plus essentiels : les personnages qu’elles mettent en scène sont très peu nombreux et n’expriment que les sentiments les plus naturels, mais ils le font avec une naïveté et une énergie singulières. Ces figures, peintes en quelques traits vigoureux et sobres, ont une intensité de relief extraordinaire, et pourtant, comme elles nous apparaissent dans une action incomplète et heurtée, elles gardent quelque chose de mystérieux qui sollicite puissamment l’imagination. Cet effet est encore augmenté par le refrain qui consiste, tantôt en un cri d’angoisse ou de douleur, où le personnage principal condense le sentiment qui l’anime :

E ! Raynauz ami !

Dieus ! donez m’a mari Garin
Mon douz ami !

Aé ! cuens Guis, amis,
La vostre amors me tout solaz et ris !

tantôt en une formule, une réflexion d’un caractère vague et profondément poétique, qui résume l’impression laissée dans notre âme par le récit : ainsi dans une pièce qui est l’un des plus agréables spécimens du genre et que nous citerons tout entière[1] :

    comme cousant ou filant, peut-être parce qu’elles étaient chantées dans les chambres des femmes occupées à des travaux d’aiguille. — P. Paris, qui les a le premier signalées à l’attention en 1833, les avait appelées romances à cause de leur ressemblance avec les romances espagnoles.

  1. Dans le manuscrit unique qui nous l’a conservé, ce texte a été transcrit par un scribe lorrain, qui y a imprimé assez fortement les marques de son dialecte : nous rétablissons ici la graphie francienne et nous ferons de même dans plusieurs des citations suivantes. Cette pièce étant d’un style assez