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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/520

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Les chansons les plus anciennes ; simplicité et grâce de leur style. — Il n’est aucun de nos poètes qui ne connaisse les théories qui viennent d’être exposées, qui n’en soit tout pénétré, au point que leurs œuvres, inintelligibles si on les ignore, s’éclairent tout à coup dans leurs parties les plus obscures si on les comprend bien. Néanmoins ils n’y ont pas tous également insisté : quelques-uns laissent à côté d’elles une certaine place à une expression du sentiment plus simple, plus franche, plus naïve. On trouve ces qualités notamment dans un certain nombre de pièces anonymes que, pour cette raison, ainsi que pour quelques autres[1], nous sommes portés à attribuer à une génération antérieure à celle des trouvères classiques. Il est plusieurs de ces pièces qui, au moins dans quelques-unes de leurs parties, ne méritent point le reproche de sécheresse et de monotonie pédantesque que l’on a trop souvent adressé à toute notre ancienne poésie lyrique.

On pourrait y relever par exemple des entrées en matière charmantes de grâce et de fraîcheur :

Quant la rosée ou mois de mai
Naist et monte sur le vert pré
Et cil oiselon cointe[2] et gai
Chantent cler par le bois ramé…
(Raynaud, no 91.)

Parfois ce sont de jolis traits descriptifs qui alternent avec l’expression de l’allégresse amoureuse : ne semble-t-il point qu’un souffle printanier ait passé dans ces vers :

Flors s’espant, l’erbe i point drue ;
La flors pert[3]en l’esglantier ;
J’amerai, se mes cuers ose !…
Mente croist, florist la rose :
Amés tuit, meillor n’i sai[4] !…
(No 2072 ; Archiv, XLII, 243.)

Quant li rossignols s’escrie
Que mais se va definant,
Et l’aloete jolie
Va contremont l’air[5] montant…
(No 1148 ; Scheler, II, 89.)

  1. On y trouve par exemple assez fréquemment des assonances et des césures épiques.
  2. Gracieux.
  3. Apparaît.
  4. Je ne sais rien de meilleur.
  5. Là-haut dans l’air.