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du XIIIe siècle, ne nous est connu que par les dix-neuf spécimens que nous a conservés le manuscrit Douce.

Le lai ; le descort. — Le lai et le descort ne sont point des genres à dimensions courtes et fixes comme les précédents ; le nombre des couplets peut y différer sensiblement ; la musique devait en être aussi beaucoup plus compliquée et variée. La signification du premier de ces deux mots était à l’origine plus particulièrement musicale, celle du second plus littéraire ; mais en fait ils sont synonymes et s’appliquent indifféremment au même genre. Le mot lai, qui est d’origine celtique (irlandais laid), a désigné d’abord des mélodies bretonnes, puis par extension les textes qui y avaient été adaptés (car elles avaient pour la plupart un grand succès sur le continent) pour aider le chanteur à les retenir et qui sont proprement nos lais lyriques[1]. Il nous en est resté une vingtaine, dont quelques-uns peuvent remonter au XIIe siècle. — Les descorts sont au nombre de douze environ et appartiennent à peu près à la même époque. Le mot, qui est peut-être provençal d’origine, s’oppose à acort, et signifie une pièce où les strophes, au lieu de « s’accorder », comme dans la chanson, diffèrent toutes entre elles : c’est là en effet la règle fondamentale du descort comme du lai. Ces strophes, ordinairement très longues, sont presque uniquement formées de vers très courts : ceux-ci comptent rarement plus de huit syllabes ; il y en a souvent de deux, de trois, et même d’une syllabe ; d’autres, beaucoup plus longs, sont de forme archaïque et rare, de onze et de treize syllabes par exemple, et devaient produire le même effet d’étrangeté. Par cette bizarrerie et cette incohérence, le poète prétendait exprimer l’état de trouble et d’angoisse où le paroxysme de la passion l’avait jeté : ces petits vers, tombant en pluie les uns sur les autres, donnaient à la pièce une allure saccadée et fébrile que sans doute la musique accentuait encore, et qui était destiné à marquer la profondeur de ce trouble, l’intensité de cette angoisse.

On tenta parfois d’introduire dans ce désordre un peu de régularité en donnant la même structure à deux ou plusieurs stro-

  1. Il ne faut pas les confondre avec les lais narratifs dont il est question ailleurs. Sur le rapport exact entre les deux sortes de lais, voir G. Paris dans Romania, VIII, 1 et suiv.