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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/529

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« partager » ), entre lesquelles il lui laisse le choix, lui-même s’engageant à défendre celle qui sera restée libre.

La tenson, plus ancienne que le jeu parti, a surtout fleuri au Midi, où elle est souvent l’expression d’une sérieuse hostilité ou l’écho d’âpres rancunes ; il n’en est pas de même au Nord, où la poésie avait pénétré beaucoup moins profondément dans les mœurs. Là elle n’y est guère qu’un divertissement de société[1] et roule presque toujours sur des questions poétiques ou amoureuses : ainsi Jacques d’Amiens (no 1966) se plaint de ses mécomptes en amour auprès de Colin Muset, qui, fidèle à ses théories habituelles, lui conseille d’oublier la cruelle et de donner « son cœur, comme il a fait lui-même, au chapon à la sauce aillie, au gâteau blanc comme fleur », et « aux bons morceaux qu’on mange devant un grand feu » ; un certain Richart demande à Gautier de Dargies (no 1282) s’il fera bien ou mal de s’adonner à l’amour. Dans ces deux pièces, le personnage consulté essaie de détourner son interlocuteur des aventures amoureuses ; dans une autre (no 1111), nous voyons au contraire Philippe de Nanteuil reprocher à Thibaut de Champagne d’avoir renoncé à l’amour et aux chansons.

Il n’y a aucune raison de douter de la collaboration de deux poètes à ces différentes pièces et à quelques autres : il en est un assez grand nombre au contraire où le dialogue n’est qu’un artifice et où c’est visiblement le même auteur qui fait les demandes et les réponses : ainsi dans la tenson (no 335) où Thibaut de Champagne essaie de persuader à sa dame qu’après leur mort à tous deux il n’y aura plus au monde de véritable amour :

Car tant avés sens, valor, et j’aim tant
Que je croi bien qu’après nous iert faillie.

  1. Il faut dire cependant que quelques pièces dialoguées ont un rapport étroit avec les événements contemporains : tels sont un dialogue (composé vers 1226) entre un Pierre et un Gautier (no 953) où sont tournées en ridicule les lenteurs apportées par les barons coalisés contre Blanche de Castille à la réalisation de leur entreprise, et un autre (daté de 1229) entre Thibaut de Champagne et Robert d’Artois (no 1878) où Pierre Mauclerc est blâmé d’avoir marié sa fille Yolande au comte de la Marche. La satire affecte parfois dans la tenson un caractère beaucoup plus général, comme dans la pièce (no 333) où Thibaut de Champagne demande à Philippe [de Nanteuil] pourquoi l’amour a disparu « de ce pays et d’ailleurs ». Des pièces de ce genre ne sont en réalité que des serventois dialogués.