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de la musique, il en suit servilement la contexture. L’art qui présidait à cette contexture, c’est-à-dire celui de faire marcher ensemble deux, trois, ou quatre voix (double, treble ou triple, quadruple[1], etc.), s’appelait en général discantus ou déchant. En général le compositeur s’attachait au tenor ou mélodie qu’il prenait comme base, lui superposant une broderie harmonique ; ou bien ce tenor servait de substratum à une autre mélodie connue. S’il ajoutait une troisième ou une quatrième partie, c’était principalement avec le tenor qu’elle devait s’accorder ; l’accord entre elles des parties ajoutées laissait au contraire beaucoup à désirer. Un semblable système ne peut que heurter toutes nos habitudes harmoniques et nous ne trouvons pas excessives les invectives éloquentes que lui ont adressées des musiciens de premier ordre comme Fétis[2]. Il importe de remarquer que, dans ces compositions, nous avons souvent des mélodies préexistant à l’œuvre du déchanteur, qui parfois sont puisées au fond commun des mélodies populaires. Souvent on ajustait ensemble deux chants déjà connus. Dans tous ces cas, et spécialement dans le dernier, le compositeur donnait aux thèmes musicaux qu’il voulait associer la forme rythmique qu’il jugeait convenable ; on peut facilement s’imaginer combien il fallait torturer ces malheureuses mélodies pour les étendre sur le lit de Procuste du discantus. Malgré cela il est possible dans bien des cas de retrouver sous les remaniements d’un arrangeur sans pitié la mélodie primitive, simple et populaire ; cela est même presque toujours possible quand elle joue le rôle de tenor. Sous cet aspect le manuscrit de Montpellier que nous avons déjà cité est une mine précieuse.

Les divers modes de discantus ont, dans les manuscrits et spécialement dans celui de Montpellier des noms différents : organum, motet, rondel, conduit, rotruenge et dulciane[3]. Nous pourrions laisser de côté l’organum qui semble avoir été

  1. Quelquefois ces mêmes mots signifient la 2e 3e ou 4e voix qu’on soude à la mélodie principale qui est le tenor. Dans ces compositions polyphoniques doit entrer un élément musical qui, dans les mélodies à une voix, peut être presque abandonné à l’instinct, c’est-à-dire la mesure rigoureuse du temps. Pour le système de notation mesurée, très compliqué et pénible, nous renvoyons aux œuvres de De Coussemaker et de Fétis.
  2. Voir t. V, p. 251-63, 281.
  3. Je suis ici les renseignements donnés par M. Lavoix, p. 301. Mais rotruenge désigne un genre poétique, peut-être employé mal à propos par quelque musi-