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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/71

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ORIGINES DE LA LANGUE FRANÇAISE

duise le nom de certaines plantes en celtique[1]. Il semble que dans sa charité veuille faciliter à ses frères l’usage des simples. Mais pourquoi donner le nom vulgaire d’une dizaine à peine, Et non de toutes celles qui sont citées dans son gros recueil ? La vérité est que Marcellus est un plagiaire éhonté, quoiqu’il affecte de parler en son nom personnel[2]. Il a non seulement emprunté à Pline et à ceux qu’il nomme, mais à une foule d’autres, comme la critique moderne l’a montré. Ce n’est donc pas parce qu’il fallait traduire en gaulois les noms de la flore aux gens du temps de Théodose qu’il a cité quelques termes — fort mal identifiés d’ailleurs jusqu’ici, — mais parce qu’il a trouvé ces indications dans quelqu’un des livres qu’il compilait[3].

Mais, pour le iiie et le ive siècle[4], nous avons deux témoignages

  1. Éd. Helmreich, c. 33, 63 : Herba est, quæ Græce nymphea. Latine clava Herculis, Gallice baditis appelatur (le nénuphar).

    20, 68 : Fastidium stomachi relevat papaver silvestre, quod Gallice calocatanos dicitur.

    16, 100 : Herba, quæ Gallice calliomarcus, Latine equi ungula vocatur.

  2. Nec solum veteres medicinæ artis auctores Latino dumtaxat sermone perscriptos, cui rei operam uterque Plinius et Apuleius et Celsus et Apollinaris ac Designatianus aliique nonnulli etiam proximo tempore inlustres honoribus viri, cives ac majores nostri, Siburius, Eutropius atque Ausonius, commodarunt, lectione scrutatus sum, sed etiam ab agrestibus et plebeis remedia fortuita atque simplicia, quæ experimentis probaverant, didici. (Id., ib., Préface.)
  3. J’ajoute que ces indications, même prises à la lettre, ne prouveraient rien. J’ai été élevé dans une famille parlant exclusivement français, et j’ai ignoré jusqu’à ces derniers temps le nom français d’un reste de pomme à demi mangé ou d’une tige de chou. Je n’avais jamais entendu appeler le premier que nâchon, le second que crôche, même dans les promenades du collège. Aujourd’hui encore je serais fort embarrassé de traduire exactement d’autres noms de choses de la campagne, par exemple mokotte (bouquet de noisettes) ; je sais ce que c’est qu’une lessive qui chabionque, ou que du chanvre qu’on cerise, il me serait impossible de donner l’équivalent de ces termes en français de Paris. Les gens des villes quittent le patois, mais leurs enfants et petits-enfants gardent longtemps après les termes patois qui se rapportent à la vie paysanne, — pour ne parler que de ceux-là, — même quand ils ont leurs équivalents dans la langue officielle. Pour mon compte, j’ai constaté que j’use en parlant de plus de deux cents lotharingismes.
  4. Inutile de discuter ici les textes antérieurs, puisque, si on parlait le celtique au iiie siècle, il est bien évident qu’on le parlait aussi au iie. Remarquons toutefois que ces premiers textes ne sont pas, contrairement à ce qu’on pourrait attendre, les plus probants. En effet, quand Irénée, évêque de Lyon, se plaint qu’il est occupé à un dialecte barbare, malgré le rapprochement des deux mots celte et barbare, il n’est pas évident qu’il s’efforce d’apprendre le celtique (voir Contra Hæreses, Proœm. Opera, éd. Migne, t. VIII de la Patrologie grecque). Un passage des Nuits attiques n’est guère plus concluant. Que des gens éclatent de rire en entendant un avocat archaïsant employer de vieux mots « comme s’il avait dit je ne sais quoi en étrusque ou en gaulois », on peut avoir affaire ici à une de ces manières de parler dont nous traitions plus haut, et à une comparaison qui n’a rien d’exact. En outre, une anecdote d’Aulu-Gelle n’est pas nécessairement de l’époque d’Aulu-Gelle, et les conteurs comme lui ramassent de vieilles histoires