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INTRODUCTION

très importants qui prouvent que le gaulois était encore en usage. Le premier est un passage du Digeste[1], qui stipule que les fidéicommis peuvent être faits en celtique. Et on ne saurait douter qu’il s’agisse du celtique de Gaule, sinon Ulpien eût dit Britannica lingua et non Gallicana.

Le second est une phrase que saint Jérôme a mise en tête du commentaire sur l’épître aux Galates[2]. Comme on lui avait demandé quelle langue parlait ce peuple, s’il avait changé la sienne pour une autre, ou s’il l’avait gardée tout en en apprenant une nouvelle, il répond : Les Galates, tout en ayant adopté la langue grecque, dont on se sert dans tout l’Orient, ont une langue propre, à peu près la même que les Trévires, peu importe s’ils en ont corrompu depuis quelque chose, alors que les Africains aussi ont changé sur quelques points la langue punique, et que la latinité elle-même se transforme tous les jours suivant les pays et sous l’influence du temps.

Il est fâcheux que, moins préoccupé de nous renseigner sur les Trévires que sur les Galates, saint Jérôme ait trop rapidement passé sur le cas des premiers, et négligé de nous apprendre s’ils se servaient du latin comme leurs frères d’Asie du grec. Mais il ne résulte pas moins de ce texte qu’il subsistait à Trèves ou aux environs de Trèves, un dialecte celtique, qui pouvait être en concurrence avec le latin, mais n’avait pas été éteint par lui[3].


    qui, si on s’y fiait, amèneraient à de singulières erreurs chronologiques. (Voir Noct. Att., XI, 7, 4.)

    On peut faire une observation analogue sur un texte de Lampridius (Alex. Sév., LIX) qui rapporte qu’Alexandre Sévère (iiie siècle) aurait été interpellé en gaulois. Le récit, bien postérieur à l’événement, peut avoir été inventé, d’autant plus qu’il s’agit là de présages de mort qui auraient averti l’empereur, et il faut bien admettre que cette histoire de présages est suspecte. Ensuite l’anecdote serait-elle authentique et l’interprétation que les anciennes superstitions lui donnaient seule fausse, il n’y aurait pas lieu de généraliser. Une druidesse pouvait parler une langue sacrée, qui n’était plus celle du peuple. Le fait est trop commun pour y insister.

  1. L. XXXI, 11.
  2. Œuvres, VII, 357, vol. 26 de la Patrol. latine.
  3. En vain a-t-on essayé de contester la valeur du témoignage de saint Jérôme, soit en prétendant, comme Fustel de Coulanges, que les Trévires étaient des Germains, soit comme M. Perrot (Revue celt., I, 179 ; De Galatia, 87-90, 168-170), en soutenant que l’auteur a dû recueillir quelque tradition antérieure relative aux Galates, et qu’à l’époque où il écrivait, ces Galates étaient absolument hellénisés, à en juger par tout ce que nous savons du pays. La thèse de Fustel de Coulanges est démontrée fausse, à défaut d’autres preuves, par les textes mêmes dont il l’appuie (Cæs., Bel. gal., VIII, 25, et Tac., De mor. germ., 28) : celle de