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ORIGINES DE LA LANGUE FRANÇAISE

À partir de cette époque, je l’ai dit, nous ne savons plus rien de certain. Cependant s’il m’est permis à mon tour de hasarder une hypothèse, j’estime que c’est à ce moment surtout que la victoire du latin devint définitive. Il paraîtra étrange au premier moment de croire que la langue de Rome triomphe complètement alors que sa puissance va succomber. Mais il importe de se défier des idées fausses que les divisions classiques de l’histoire ont introduites dans nos esprits. Ni la prise de la ville par Alaric, ni la disparition même de l’Empereur d’Occident en 476, ne marquent la fin de l’Empire et de l’idée romaine[1]. De Constantinople, de Rome même, quoique occupée par les barbares, la majesté de la puissance colossale qui avait gouverné le monde pendant tant de siècles continuait à en imposer à tout l’Occident, à ses papes et à ses rois, aussi bien qu’à ses peuples. On en a apporté cent preuves, car les traces de cette influence se font sentir partout et à chaque instant, en attendant qu’elle éclate dans les deux plus grands événements de cette époque : la constitution définitive de la papauté et la restauration de l’Empire d’Occident. En Gaule, en particulier, il fallut bien des générations encore, pour que les nouveaux maîtres se considérassent comme indépendants[2], quoiqu’on eût secoué, comme dit la loi salique, le dur joug des Romains.

À l’intérieur, si le trouble fut très profond, du moins il ne fut pas fait, comme on est trop porté à le croire, table rase du passé. Les historiens ont montré comment, dans les royaumes des Bourgondions et des Wisigoths, l’administration romaine subsista presque intacte. Chez les Francs aussi, la propriété des Gallo-Romains fut respectée, l’organisation religieuse et

    M. Perrot ne tient pas compte de la distinction que nous avons faite plus haut entre une langue épigraphique et une langue usuelle ; en outre, elle est contraire à tout ce que nous savons de saint Jérôme, écrivain consciencieux qui avait voyagé et eu occasion d’observer directement des Galates et des Trévires, qu’enfin une compétence toute spéciale en matière de langues poussait à s’occuper des faits de ce genre, en même temps qu’elle lui permettait de s’y reconnaître avec sûreté.

  1. Rutilius Namatianus, qui écrit au lendemain de cet événement, ne se doute aucunement de son importance. (Voir Itinér., I, 43 et suiv.)
  2. En 475, une ambassade va demander à l’empereur Zénon de rétablir Nepos, témoignant de l’attachement dont parlait Procope en 467. Clovis, maître du pays, n’a tout son pouvoir que quand l’empereur l’a nommé maître des soldats, patrice romain et consul. Ses fils et ses petits-fils envoient des ambassadeurs à Constantinople. Héraclius donne des ordres à Dagobert Ier, etc., etc. (Voir l’Histoire générale, I, 58-371.)