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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/74

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INTRODUCTION

sociale conservée, avec des modifications. La vieille civilisation latine elle-même, si elle fut mortellement atteinte, ne périt pas d’un seul coup. Il fallut pour cela la nuit épaisse du viie siècle. Mais en pleine invasion, à quelque distance des Goths ou au milieu des Francs, les lettres de Sidoine Apollinaire en font foi, il y avait encore des écoles, des bibliothèques, des libraires, toute une société élégante et raffinée, qui lisait et écrivait, toute une jeunesse qui étudiait.

On peut donc considérer que les forces qui, de tout temps, avaient contribué à la diffusion du latin, continuèrent jusqu’au viie siècle, tout au moins jusqu’au milieu du vie, à agir dans le même sens, diminuées sans doute considérablement, mais non annihilées par la présence des barbares. Et depuis près de deux cents ans de nouvelles influences étaient venues s’ajouter aux premières pour assurer la victoire.

Un premier événement, capital dans l’histoire, très important aussi dans la question spéciale qui nous occupe, c’est le développement du christianisme. L’église grecque, établie à Lyon au iie siècle, cela est avéré aujourd’hui, malgré les anciennes légendes, avait été presque inféconde, et c’est à partir du iiie siècle seulement que la nouvelle doctrine se répandit dans les trois Gaules [1]. Au ive, le pays comptait au moins trente-quatre évêques, peut-être sensiblement plus.

Il est de toute vraisemblance que, pour propager la parole de Jésus, ses prêtres parlèrent le celtique, s’il le fallut, comme ils le firent plus tard en Irlande, comme ils parlaient déjà ailleurs d’autres langues, qu’ils traduisirent, quand ils le jugèrent nécessaire, dans le vieil idiome de ces paysans, si lents à conquérir (pagus < paganus), les dogmes et les légendes, mais la langue officielle de la religion n’en était pas moins en Occident le latin, langue universelle de l’église universelle ; c’est en latin que se discutait la doctrine, que se célébraient les rites aux symboles mystérieux et attrayants, que se lisait même la « bonne nouvelle », dont une règle d’origine inconnue, mais qui fut abandonnée seulement au xiie siècle, interdisait de donner une traduction littérale en langue étrangère. Il n’est pas besoin d’y

  1. Serius trans Alpes Dei religione suscepta (Sulp. Sév., Chron., II, 32. Cf. Duchesne, Fastes épiscopaux de l’anc. Gaule, I, 46.)