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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/75

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insister, et de montrer quel appoint apportait à la latinisation cette nouvelle force qui entrait en jeu, et ce que gagnait le latin à servir d’organe à une église jeune, ardente, avide de propagande et de conquêtes, qui ne s’adressait plus seulement, comme l’école, surtout au citadin, mais à l’homme de la campagne, à sa femme, à ses enfants, mettait autant de zèle à gagner les « collèges des petites gens » et les cases des esclaves que la maison d’un « clarissime », comme Paulin.

En second lieu, il ne faut pas oublier qu’une grande partie de la population gauloise indigène fut peu à peu chassée des campagnes. En effet, la belle période de prospérité matérielle ne dépassa guère le règne des Antonins ; bientôt après les impôts dont on surchargea le peuple, lui firent abandonner la terre qui ne le nourrissait plus[1]. On vit les paysans, poussés par la misère, entrer dans la voie des violences, comme ces Bagaudes, qui à plusieurs reprises, après avoir porté la dévastation autour d’eux, se firent exterminer. D’autres émigrèrent vers les villes, qui offraient un abri et du travail.

L’arrivée des barbares contribua d’autre part, et puissamment, à cette éviction. Depuis longtemps des esclaves germains, des prisonniers étaient introduits individuellement, des bandes vaincues amenées collectivement, sur le territoire de la Gaule[2]. Quand l’empire prit d’autres barbares à son service, à titre de fédérés et de lètes, ce fut un usage régulier de les établir, leur service fait, comme laboureurs. Julien cantonna dans le Nord des Francs Saliens battus, Constance Chlore y mit des Chamaves et des Frisons, Constantin des Francs, pour cultiver en esclaves, suivant les paroles d’Eumène, les terrains qu’ils avaient dépeuplés en pillards[3]. La Notitia dignitatum, rédigée vers 400, signale des cavaliers saliens, bructères, ampsivariens en Gaule.

  1. On en a la preuve, non seulement dans les plaintes exagérées de Lactance ou les déclamations de Salvien, mais dans les textes officiels. Le code théodosien traite longuement des terres abandonnées. Eumène, Grat. act., ch. VI, 2, dit : Les champs qui ne couvrent pas les frais sont, par nécessité, abandonnés, et aussi à cause de la misère des paysans qui, écrasés de dettes, n’ont pu ni dériver les eaux, ni couper les plantes sauvages. Aussi tout ce qu’il y a eu autrefois de sol habitable, est ou infecté de marécages, ou hérissé de broussailles, etc.
  2. Impletæ barbaris servis romanæ provinciæ. (Trebell. Pollion, Claude, 9.)
  3. Eumène parle à plusieurs reprises de ces établissements de barbares : Nerviorum et Trevirorum arva jacentia excoluit receptus in leges Francus (Paneg. Const., c. 21) ; arat ergo nunc mihi Chamavus et Frisius (Ib., 9) ; intimas