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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/76

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XLII
INTRODUCTION

Il y a des Suèves au Mans, à Bayeux, en Auvergne, des Bataves à Arras, des Francs à Rennes, des Sarmates à Paris, Poitiers, Langres, Valence, d’autres Germains à Senlis et à Reims. Un corps de Sarmates a laissé son nom à Sermaize (Sarmatia) ; un corps de Taïfates, à Tiffauge-sur-Sèvre, dans le Poitou, un corps de Marcomans à Marmagne. Et les invasions qui surviennent amènent les Wisigoths en Aquitaine, les Bourgondions en Savoie et dans la vallée du Rhône. Devant ce flot humain les anciens possesseurs ont dû reculer, là où il en restait encore, et s’enfuir vers les villes et les agglomérations, de sorte que les anciens îlots ruraux, où le celtique se maintenait, ne pouvaient dès lors que disparaître.

On a cru pendant longtemps que la Bretagne, grâce à sa situation péninsulaire, avait offert au vieil idiome un dernier refuge. Il est vrai qu’un dialecte celtique se parle encore aujourd’hui, sous le nom de bas-breton, dans la moitié du Morbihan, des Côtes-du-Nord, et la totalité du Finistère[1]. Mais les dernières recherches ont montré que ce dialecte a été réimporté en France par les Bretons insulaires, qui, fuyant l’invasion saxonne, vinrent s’établir en Gaule, du ve au viie siècle. Peut-être existait-il dans le pays des restes de celtique qui ont facilité cette introduction ; on ne peut ni l’affirmer, ni le nier, faute de faits positifs. Mais il semble bien, d’après le peu que nous savons du gaulois et de ses dialectes, qu’il n’a en rien influé sur le nouvel idiome de la Bretagne, qui, lorsqu’on l’étudie dans ses sources anciennes, apparaît presque identique au gallois d’outre-Manche. Et si nous avions des textes remontant au vie siècle, il est de toute vraisemblance que toute différence disparaîtrait. Le latin a chassé le celtique de l’Armorique, comme de la Gaule tout entière[2].

    Franciæ nationes a propriis sedibus avulsas, ut in desortis Galliæ regionibus collocarentur. (Paneg., VII, 6, 2.)

  1. Voir particulièrement Loth, L’émigration bretonne en Armorique, 1883.
  2. Voir plus haut ce qui a été dit du basque, p. xxviii.