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XLIII
ORIGINES DE LA LANGUE FRANÇAISE

III. — Le latin parlé.

Les sources. — Quel était ce latin parlé dans les Gaules ? La divergence de vues est complète sur cette question entre les philologues. Les uns, qui étudient le latin à l’époque moderne, quand, modifié profondément, il porte le nom d’espagnol, d’italien, de provençal, de français, y rencontrent dès les origines des nouveautés si grandes, ils sont conduits si souvent par les raisonnements étymologiques à des formes et à des mots étrangers au latin, tel que nous le connaissons, qu’ils concluent à l’existence d’une langue distincte, qui aurait vécu dès l’époque romaine, et se serait parlée à côté de la langue classique qui s’écrivait ; c’est cette langue à laquelle ils donnent généralement le nom de latin vulgaire.

Les autres, qui partent au contraire du latin classique, et le suivent dans les différents textes de l’époque romaine, tout en reconnaissant à certains mots, formes, ou tours qu’ils relèvent chez les écrivains et dans les inscriptions, ou que les grammairiens leur ont signalés, un caractère populaire, nient absolument qu’il y ait jamais eu un autre latin que celui des livres, le reste n’étant qu’inventions d’étymologistes dans l’embarras[1].

La vérité est, autant que l’état actuel de la science permet d’en juger, entre ces deux opinions extrêmes. La difficulté, ici encore, c’est que les sources sont très pauvres. Un traité de « gasconismes ou de gallicismes corrigés », qui remonterait au iie ou au iiie siècle de notre ère, serait pour nous d’un prix inestimable. Malheureusement nous n’avons plus l’ouvrage de Titus Lavinius : De verbis sordidis, ni rien qui le remplace[2]. Les grammairiens dont les traités nous sont parvenus notent bien des choses « qu’il ne faut pas dire », mais ils ne nous apprennent pas où on les disait, ni à quelle époque[3]. Quant aux écrivains,

  1. Cette opinion, beaucoup moins répandue que la première, a été soutenue par Eyssenhardt : Römisch und Romanisch, Berlin, 1882.
  2. Verrius Flaccus ne nous a pas été conservé entièrement, et il vivait sous Tibère. Nous avons, il est vrai, de Festus un : De significatione verborum, mais fragmentaire, et mutilé dans l’extrait de Paul Diacre.
  3. Les recueils les plus précieux pour nous, sous ce rapport, sont l’Appendix