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XLVI
INTRODUCTION

Latin classique et latin vulgaire. — Un fait certain, c’est qu’en Italie même, et anciennement déjà, le latin parlé et le latin écrit n’étaient pas identiques. On pourrait le supposer avec raison, puisqu’il en est ainsi dans tous les pays qui ont une littérature et un enseignement. Mais nous avons sur ce point mieux que des probabilités ; outre qu’il nous reste quelques inscriptions très intéressantes sous ce rapport, les anciens nous ont parlé à différentes reprises d’un sermo inconditus, cotidianus, usualis, vulgaris, plebeius, proletarius, rusticus[1].

La difficulté est de savoir d’abord quelle valeur positive il faut attribuer à tous ces mots qui ont à peu près en français leurs équivalents : langage sans façon, sans apprêt, ordinaire, commun, trivial, populaire, populacier, provincial. L’usage que nous faisons nous-même de ces expressions et d’autres analogues, telles que langage de portefaix, d’école, de caserne, de corps de garde, etc., montre combien serait fausse l’idée qu’il coexiste en France un nombre d’idiomes correspondants, tandis qu’il ne s’agit que de nuances variées qui teintent un parler commun, et dont plusieurs sont si voisines qu’on ne saurait établir de limites entre elles.

Le second point, de beaucoup le plus important, est de savoir dans quel rapport ces parlers, qui formaient ensemble le latin dit vulgaire et populaire, étaient avec la langue écrite. Il est certain qu’originairement ils se sont confondus avec elle.

Il se forma ensuite, vers le temps des Scipions, un bon latin, comme il s’est formé en France un bon français, de 1600 à 1650, dans lequel tout le monde s’efforça d’écrire. Ce bon latin ne demeura bien entendu pas immobile et semblable à lui-même : c’est chose impossible à une langue qui vit et sert d’organe à la pensée d’un grand peuple, cette langue ne fût-elle qu’écrite sans être parlée par lui. Le latin classique resta donc accessible aux nouveautés, qu’elles lui vinssent des milieux savants, de la Grèce ou même du monde des illettrés, l’étude comparative des auteurs l’a surabondamment démontré. Quelque peine qu’il ait prise de l’imiter, Ausone ne tenait plus la langue de Virgile, et Constantin ne haranguait plus le Sénat dans le latin de César.

  1. Voir Wölfflin, Philol., XXXIV. 1876, p. 138.