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XLIX
ORIGINES DE LA LANGUE FRANÇAISE

Et cela dura ainsi tant qu’il y eut un empire, une littérature et une civilisation.

Le bas-latin. — L’arrivée des barbares, la chute de Rome et les événements politiques qui en résultèrent eurent, sinon tout de suite, comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire, du moins au vie et surtout au viie siècle, une répercussion considérable sur le langage. Le bas-latin, c’est-à-dire le latin écrit de cette époque, en donne des preuves suffisantes.

Les écoles qu’Ausone avait vues si florissantes encore, se fermèrent, et le monde, réalisant les tristes appréhensions de Sidoine Apollinaire[1], tomba dans une ignorance si profonde qu’on a peine à l’imaginer. À Rome même, dans l’Église, dont les écoles s’ouvrirent seulement plus tard, et jusque dans la chancellerie pontificale, on en vint à ce point de ne plus écrire le latin qu’avec d’énormes fautes. Un personnage aussi considérable que Grégoire de Tours, issu d’une grande famille, élevé par des évêques, eux-mêmes de haute naissance, évêque à son tour, laisse passer en écrivant des bévues si nombreuses et si grossières qu’on avait cru longtemps devoir en accuser ses copistes. Vergilius Maro, qui fait profession de grammaire, commet des erreurs qu’on ne pardonnerait pas à un écolier[2]. Et si de ces savants du temps, on descend à des notaires et à des scribes, la langue qu’on rencontre, non seulement sous leur plume, mais dans les formulaires qui leur servent de modèles, devient un jargon presque incompréhensible. Aucun latin de cuisine n’est plus barbare que le bas-latin, souvent plus qu’énigmatique, de l’époque mérovingienne. Voici par exemple quelques lignes d’un modèle de vente, tel qu’on le trouve dans les formules d’Angers[3] : Cido tibi bracile valente soledis tantus, tonecas tantas, lectario ad lecto vestito valento soledis tantus, inaures aureas valente soledus tantis… Cido tibi caballus cum sambuca et omnia stratura sua, boves tantus, vaccas cum sequentes tantas… Comparez encore cet acte de libération des formules d’Auvergne (p. 30) : Ego enim in Dei nomen ille et coiuues mea illa pre remedio

    qu’elle ait laissé sa trace dans le retour à la prononciation de l’s finale, un moment abandonnée.

  1. Épîtr., IV, 17.
  2. Voir Ernault, De Virgilio Marone grammatico Tolosano, Paris, 1886.
  3. Éd. Zeumer, p. 5.