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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/84

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L
INTRODUCTION

anime nostræ vel pro æternam retributionem obsolvimus a die presente servo nostro illo una cum infantes suos illus et illus, que de alode parentorum meorum… mihi obvenit a die præsente pro animas nostras remedium relaxamus, ut ab ac die sibi vivant, sibi agant, sibi laboret, sibi nutramenta proficiat, suumque jure commissos eum et intromissus in ordinem civium Romanorun ingenui se esse cognoscant.

Quiconque a des notions de latin remarquera sans peine les fautes de toutes sortes accumulées dans ces quelques lignes. Encore est-ce là, comme je l’ai déjà fait remarquer, du latin écrit, je dirai même du latin de choix, fait pour être transcrit dans des actes. On peut juger par là de ce qu’était la langue parlée par la masse.

Du latin vulgaire au roman. — Au reste les langues romanes ont permis, par comparaison, de reconstituer sinon avec certitude, du moins avec grande vraisemblance, l’ensemble de la physionomie de ce latin vulgaire, et de retrouver au moins les grands traits qui le caractérisaient. Il est aujourd’hui acquis que, au viie siècle et déjà au vie, des différences profondes, qui souvent avaient commencé à s’accuser à une époque bien plus haute, séparaient, sous le rapport de la prononciation, du lexique et de la grammaire, le latin parlé, ou si l’on veut, les latins parlés, du latin classique.

Voici quelques traits — je cite en général de préférence ceux qu’on attribue au latin de Gaule — qui en donneront une idée. Des sons étaient tombés : l’h au commencement des mots, l’m à la fin[1] ; des voyelles atones placées entre l’accent et la finale (colpu = col(a)pum, domnu = dom(i)num) ; quelquefois aussi des consonnes, tel le b de parabola, devenu paraula, le v de avunculum, devenu aunclu[2], le g de ego : la nasale placée devant un s (comme l’a montré plus haut l’exemple de poids, auquel on pourrait ajouter ceux de costumen = consuetudinem, la coutume, et costura = consutura, la couture), etc. Des hiatus

  1. Un grand nombre de mots français ont cette h ; ils sont savants, ou ont une orthographe savante. Ainsi herbe, en v. franç. erbe ; m finale ne tombe pas dans les monosyllabes (rem = rien), mais partout ailleurs elle ne s’entendait plus depuis longtemps : regnum sonnait comme regnu, regno.
  2. C’est par cette chute que s’explique la conjugaison du verbe avoir à certains temps ou personnes. Ex. : oi (auj. eus) = ă(b)ui, eus = aūsti = (h)a(b)u(i)sti.