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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/85

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LI
ORIGINES DE LA LANGUE FRANÇAISE

s’étaient résolus, celui de quietum, mortuum, et d’autres, par l’élimination de i et de u (keto, morto), celui de vidua, vinea, par la consonantification de u et i : vedva, vinja, d’autres par la formation de diphtongues. En outre, et c’est là le fait phonétique le plus important à noter, la distinction des brèves et des longues du latin classique n’existait plus. À la différence de durée s’était substituée une différence de timbre[1], et certaines voyelles en avaient changé de nature, ainsi ĭ passé à é, et ŭ passé à ó.

La grammaire, en même temps, était profondément atteinte. Le système si compliqué des flexions latines était bouleversé, les déclinaisons mélangées, et leur nombre réduit à trois par une assimilation barbare des substantifs les uns aux autres, par exemple de fructus, fructus à murus, muri. Le genre neutre était détruit, ses débris dispersés entre des masculins, des féminins en a (gaudia = joie), et des indéclinables (corpus = corps) ; de nouveaux pronoms démonstratifs se construisaient par l’agglomération de ecce[2], le comparatif synthétique était compromis par le développement des formes analytiques avec magis ou plus ; les articles unus et ille (ipse) se dégageaient déjà des pronoms qui leur avaient donné naissance.

Les anciennes conjugaisons subsistaient, mais avec une nouvelle répartition des verbes entre elles et un progrès marqué de l’inchoative ; en outre à l’intérieur de chacune, une véritable révolution avait eu lieu. Le passif à flexions spéciales avait disparu, et avec lui les verbes déponents, assimilés à des actifs ; des anciens temps de l’indicatif, seuls le présent, l’imparfait, le parfait et le plus-que-parfait subsistaient ; du subjonctif il ne restait que le présent, le plus-que-parfait et l’imparfait (ce dernier même était abandonné en Gaule) ; le supin, le participe futur, l’infinitif passé, étaient éteints ; les temps ou les modes disparus étaient remplacés, quand ils l’étaient, par des formes

  1. Insensible dans l’a, la nouvelle distinction est très importante pour les autres voyelles : ĕ = è ; ē = é ; ĭ = é ; ī = i ; ŏ = ò ; ō = ó ; ŭ = ó ; ū = u. Et le sort des voyelles ouvertes est bien différent de celui des voyelles fermées. Ainsi ĕ = è devient en français ie, tandis que ē = é devient ei, puis oi, dans le même cas. Comparez pètrum = piedre, piere (pierre), fèrum, fier à mé = mei, moi, fidem = fédem = fei, foi.
  2. Eccelle (fr. : cil), ecc(h)oc (fr. cist), eccoc (fr. ço, ce). Ils n’ont pas partout triomphé des simples comme en français.