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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/86

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LII
INTRODUCTION

analytiques composées d’auxiliaires, dont quelques-unes avaient des analogues en latin écrit, mais dont les autres constituaient de véritables monstres par rapport au latin classique[1].

Enfin une syntaxe plus analytique, appuyée sur un développement jusque-là inconnu des prépositions, et des particules conjonctives, annonçait déjà quel tour allait prendre celle des langues romanes.

Le lexique, de son côté, s’était profondément modifié. Il suffit de comparer quelques pages d’un dictionnaire latin aux pages correspondantes du Lateinisch-romanisches Wœrterbuch de Kœrting[2] pour mesurer la grandeur de l’écart. Aussi bien il était impossible, à y réfléchir un instant, qu’une société entièrement renouvelée et presque retournée à la barbarie, conservât le vocabulaire du latin littéraire. Une foule de mots, représentant des idées ou des choses désormais tombées dans l’oubli, devaient périr, d’autres, représentant des idées nouvelles, devaient naître, en beaucoup moins grand nombre toutefois. Mais le changement essentiel ne consiste pas seulement ici dans une différence de quantité. C’est moins encore l’étendue respective des deux lexiques que leur composition qu’il importe de considérer. Et de ce point de vue ils apparaissent encore plus différents, quoique avec beaucoup de mots communs.

En effet, nombre des mots du latin populaire, tout en étant aussi du latin classique, jouent dans le premier un tout autre rôle, plus restreint ou plus étendu. Ainsi porta, pavor, pluvia, bucca, plus familiers que janua, formido, imber, os, les ont supplantés, et sont seuls chargés d’exprimer les idées autrefois représentées aussi par leurs concurrents[3].

D’autres mots, changeant de sens, sont parvenus à éliminer

  1. Le passif latin était déjà à moitié analytique, l’actif même connaissait les formes composées avec le participe, d’où sont venus nos temps français, bien qu’elles eussent un autre sens. Ainsi j’ai écrit ces lettres correspond en latin à habeo scriptas litteras. Mais ire habeo (iraio = irai) n’a aucun analogue dans le latin classique.
  2. Paderborn, 1891. Sur cette question voir dans l’excellent recueil de Wölfflin, Archiv für lateinische Lexikographie, différents articles, en particulier ceux de Grœber : Y ajouter une thèse importante qui vient de paraître : Word formation in the roman sermo plebeins, by Fred. Cooper, New-York, 1895.
  3. Burricum, calus, etc., ont eu la même fortune. Mais un exemple est particulièrement frappant, celui de bassus ; on ne trouve jamais ce mot que comme nom propre (Aulidius Bassus) dans les écrivains latins. Dans tous les parlers romans de l’ouest il a survécu avec le sens de bas.